1406 reste une date noire dans l’histoire de la société musulmane. Cette année marque l’assassinat ignoble de l’un des grands historiens et penseurs qu’ait connus l’humanité. 600 ans après l’assassinat d’Ibn Khaldoun, la question sur l’auteur de cet acte abject est toujours au centre de la polémique. Il y en a ceux qui attribuent cet acte aux Mérinides, mais cette accusation ne tient pas debout, parce que sans fondement aucun. D’autres montrent du doigt les fanatiques égyptiens, sachant bien qu’Ibn Khaldoun était accusé d’adultère. Le statut de « Cadi » (juge) qu’il occupa au Caire aurait pu également être à l’origine de cet assassinat, tant il sent le règlement de comptes. Mais voilà, nombre d’observateurs privilégient, et pas vraiment à tort, la piste intégriste. Ibn Khaldoun ne fut d’ailleurs pas le seul à en avoir payé les frais, il y a eu bien avant lui Ibn Rochd. L’auteur du célèbre « Traité décisif » (Fasl al-maqal) fut également victime de la barbarie fanatique qui a régné dans les principautés musulmanes établies en Espagne. Les intégristes croyaient qu’en assassinant Ibn Khaldoun, pionnier de la sociologie politique, et Ibn Rochd, précurseur de ce que l’on désigne aujourd’hui sous le label « laïcité », ils allaient empêcher les idées novatrices de ces penseurs de circuler. Or voilà, Ibn Khaldoun aussi bien qu’Ibn Rochd sont toujours d’actualité. Ils ont réussi à survivre à leurs bourreaux, par leur pensée qui luit comme un ostensoir, pour emprunter une expression du poète français Charles Baudelaire. « Le Traité décisif» autant que « La Mqaddima », non seulement sont cités comme des références, mais ces livres sont également et surtout enseignés dans les universités les plus prestigieuses au monde. L’humanité tout entière revendique maintenant la pensée d’Ibn Khaldoun et Ibn Rochd. A part peut-être la société musulmane, où la pensée continue d’être considérée comme un « blasphème ». A preuve, les procès en apostasie sont légion. La machine à édicter des fatwas contre les intellectuels n’est pas près de s’arrêter. La civilisation arabo-musulmane, qui a rayonné auparavant sur le monde entier, a fait place à l’«Obscurdistan». L’ère « talibanesque » n’a pas pris fin avec le retrait des derniers fous illuminés à la solde de Ben Laden dans les grottes de l’Afganistan. Le «Grand soir» nous guette au détour de chaque nouveau virage. Le monde arabo-musulman est pris entre le marteau des intégristes et l’enclume des régimes éculés et fossilisés.
A l’occasion du 600ème anniversaire de l’assassinat d’Ibn Khaldoun, que peut-on proposer de mieux que ce qui suit : Lisez et faites lire Ibn Khaldoun.
Il était temps…