A la une : Obscurantisme

Détrompons-nous, ils n’ont rien contre la culture. Osons le reconnaître, ils aiment la culture d’un amour incomparable, inégalable, irréprochable… Il n’est pas un espace qu’ils n’aient investi pour réitérer leur profession de foi (culturelle) : sur les colonnes de leur publication, le campus, les festivals, devant les salles de spectacle… Comme si cette « déclaration d’amour » n’a pas suscité l’intérêt qu’elle mérite, alors ce sont leurs députés qui se sont chargés de faire ce boulot ingrat.
L’exploit est pourtant historique : la culture, qui était le « secret le mieux gardé » dans notre pays, fait une entrée triomphale au sein de la Chambre des représentants ! Fini l’époque, la longue époque, où la culture passait, sous la fameuse Coupole, dans la rubrique « Divers ». Le temps où l’art, toutes expressions confondues, était considéré comme un « luxe », n’est plus qu’un lointain mauvais souvenir.
Décidément, si la culture a reconquis la place qui lui revient, c’est grâce aux obscurantistes qui en ont fait leur cheval de Troie. Merci, mille mercis d’avoir réparé l’immense tort qui lui a été fait, à cette culture, dans un pays pourtant de grande tradition culturelle. Nabyl Ayouch, Ahmed Boulane, Saâd Chraïbi et le reste, n’auront peut-être jamais pu défrayer la chronique si les obscurantistes ne s’étaient pas chargés de la critique de leurs films : « Une minute de silence en moins », « Ali, Rabia et les autres», « Femmes… et Femmes », j’en passe et des meilleurs. Les Marocains n’auront jamais pu savoir qu’à Sefrou, il puisse exister une « Miss Cerise » (concours de beauté) si les très (galants) obscurantistes ne l’avaient pas tirée de l’oubli.
Les instituts culturels étrangers du Royaume n’auraient jamais pu faire la « Une » des journaux, ou les JT de 20 heures, si ces obscurantistes ne s’étaient pas occupés de leur « cas ». Gnaouas et Musiques du monde, Festival d’Essaouira, n’aurait peut-être jamais atteint le chiffre-record de plus de 170.000 spectateurs s’Ils n’en avaient pas fait l’objet de leur campagne. Les 15 talents n’auraient jamais conquis une place au Star-system s’Ils n’en avaient pas fait leur fond de tasse.
L’Art de l’Aïta, Festival de Safi, n’aurait jamais acquis une si grande célébrité s’Ils n’avaient pas pétitionné. Le spectacle de l’humoriste français Laurent Gera serait passé inaperçu s’Ils n’avaient prévu un sit-in devant les portes du Mégarama de Casablanca. « Marock », figurez-vous, est sur toutes les lèvres ou presque, avant même sa sortie en sallesde cinéma prévue pour la mi-février…
On pourrait allonger la liste, mais abrégeons : Que la culture ait acquis toute cette notoriété publique, c’est grâce à l’incontournable « intérêt » que les intégristes ont bien voulu y attacher. Le piège, quoi ! Pourquoi, piège ? Eh bien parce que leur « intérêt » n’a d’égale que leur crainte de la CREATION qui se trouve au cœur de toute entreprise culturelle, parce que cette CREATION introduit le changement, que l’inconnu fait peur aux gardiens du vieux temple, que l’autonomie d’esprit, la liberté de ton, le travail de remise en question, qui est à la base de la création, ne correspond pas à l’idéologie obscurantiste qui ne jure que par le prêche du déni de soi, le culte de l’obéissance, et le respect des « spécificités culturelles » de notre pays, qu’Ils veulent ériger au rang de « valeurs sacrées », dresser comme des «lignes rouges » pour un domaine qui ne reconnaît pas de frontières en dehors des valeurs humanistes universellement reconnues.