Culture

A la une : Pourquoi nos artistes déchantent

© D.R

«Avez-vous des nouvelles de la chanson marocaine » ? On ne se pose plus la question, sans risquer de défoncer une porte ouverte. « Bien sûr, il n’y en a pas ». La crise est évidente. Mais ce qui l’est moins, c’est qu’elle a duré. Longtemps duré. Tout le monde s’accorde à l’admettre, y compris les professionnels du secteur. Reste à savoir pourquoi. D’accord, «l’Etat » y est pour quelque chose. Le ministère de la Culture, puisque c’est de lui qu’il s’agit, ne se serait pas suffisamment intéressé à la chanson.
Contrairement au théâtre, au livre, ou encore au cinéma (qui relève du ministère de la Communication), la chanson ne bénéficie pas encore de l’aide publique. Cette chanson, il faut le reconnaître, est restée le parent pauvre de la politique du ministère d’Achaâri. Mais prenons garde à trop faire chanter « l’Etat ».
Si, en amont, la responsabilité est acquise, en aval, elle ne l’est pas moins. En clair, il ne faut pas non plus dédouaner les professionnels du secteur. Abdelhadi Belkhayat qui, avec Doukkali, Naïma Samih ou encore le regretté Mohamed Hayani, a fait la légende de la chanson marocaine, ne fait pas dans la dentelle. « Il y a aujourd’hui un état d’anarchie très avancé dans les milieux de la chanson (…) Nous sommes cernés par de faux chanteurs, de pseudo-musiciens et des voyous auto-désignés producteurs », s’indigne-t-il.
Même son de cloche chez la star du melhoun, Majda Yahyaoui. « La chanson d’aujourd’hui ne nous fait plus vibrer, rien qui reste gravé dans la mémoire, ni paroles, ni mélodie », regrette-t-elle. Dans le registre de la chanson amazighe, Mohamed Rouicha abonde dans le même sens. « La chanson s’adresse au corps, pas au cœur.
L’effet Zid dardak a également gâché le plaisir que procurait la chanson berbère », déplore-t-il. Du côté des syndicats, Moulay Ahmed Alaoui (dirigeant du Syndicat des professions musicales), lui, appelle les artistes à faire leur mea culpa. « Il faut reconnaître qu’on n’a pas préparé de relève. Si on peut parler de génération des pionniers, de leurs successeurs, la question maintenant est de savoir qui va porter le flambeau.
Bombardés par les clips diffusés par les chaînes arabes satellitaires, nos jeunes artistes risquent d’oublier leur responsabilité dans la sauvegarde et l’évolution de leur propre patrimoine lyrique », explique le responsable syndical. Un risque qui grandit d’autant plus qu’il est alimenté par le vide que connaît notre scène lyrique actuellement. Pour Karima Skalli, une star montante de la chanson marocaine, il faut réunir plusieurs conditions pour une réelle relance : « trouver une production, une distribution, un enregistrement de qualité, mais aussi et surtout un encouragement et une reconnaissance pour les paroliers, les compositeurs, les chanteurs… ».
En l’absence de ces conditions, nos jeunes artistes n’ont qu’un seul choix : aller au Moyen-Orient pour grossir la liste des artistes marocains immigrés (Samira Ben Saïd, Asmaâ Lamnouar, Oumnia, Raja Belmleh, Abdou Charif, Leïla Ghofrane…). Un véritable exode de «nos cordes vocales » qui doit porter les responsables, ministère de tutelle et organismes professionnels (syndicats et associations d’art), à réfléchir sérieusement sur les moyens d’arrêter cette hémorragie. Un plan de salut doit être mis d’urgence sur pied, il y va de l’avenir de la chanson dans notre pays.

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