A chaque fois qu’il est question de manque de lecture au Maroc, le taux d’analphabétisme est montré du doigt. Ce n’est pas faux, mais ce n’est toujours pas vrai. Une autre donne, trop souvent oubliée, doit être prise en compte : ceux qui savent lire et écrire ne lisent pas non plus ! Parmi ceux-là, on peut citer les 300.000 étudiants, les 13.000 enseignants-chercheurs, les 250.000 enseignants (du secondaire et du primaire) que compte notre pays ( !)
Face à ces chiffres, avancés à titre officiel, surgit la question : Pourquoi un « best-seller » au Maroc ne franchit pas la barre des 5.000 exemplaires ? A quel niveau peut-on situer le problème ? A celui du lecteur ou du produit lui-même ?
Au niveau de la lecture, excepté le facteur de l’analphabétisme, on est confronté à un paradoxe : les « lecteurs » ne lisent pas ! Interrogés, ces derniers prétendront ne pas avoir le temps de le faire. Et, paradoxe des paradoxes, ceux qui ont tout leur temps ne savent pas lire ni écrire ! D’autres, plus au fait du monde du livre, reprochent (et pas vraiment à tort) aux auteurs, en tout cas la plupart d’entre eux, de pécher par un manque d’imagination.
Pour le reste, une tendance se dégage. «Les Marocains achètent quand il y a des livres qui parlent de leur Histoire », nous dit Abdelkader Retnani, patron de la maison d’édition Eddif. « Il y a, dit-il, aussi les livres, romans ou essais, surtout quand ils parlent de la société marocaine pour briser certains tabous ». Rachid Chraïbi (Editions Marsam) abonde dans le même sens, en soulignant l’engouement remarquable que les livres d’Histoire suscitent chez les Marocains. Et de citer le livre « Le Ralliement. Glaoui mon père », édité par ses propres soins. Ecrit par le fils de Glaoui, de son nom Abdessadeq, ce livre retrace une période déterminante de l’Histoire du Maroc des années cinquante.
Et puis, pour l’éditeur, il y a une autre donne. « Les Marocains achètent quand les prix sont abordables », fait-il remarquer. D’où le lancement, par l’éditeur en collaboration avec le distributeur Sochepress, de la Collection Poche (de 10 à 20 dirhams). Leïla Chaouni, patron des éditions le Fennec, aborde la question sous un autre angle. Pour l’éditrice, la réhabilitation de la lecture doit passer d’abord par l’école. « Au départ, fait-elle constater, on a été dans des écoles où il n’y avait pas de pratique de la lecture ». Et de chuter sur une note d’espoir : « On est arrivé à un âge où on s’est rendu compte de l’importance de la lecture. Et on essaye de ne pas commettre les mêmes erreurs de ceux qui étaient avant nous ». Même son de cloche, pour Bensalem Himmich. « Cela me fait de la peine de constater, regrette l’écrivain, que le livre est complètement hors du champ de perception des élèves, que ces élèves ne pensent qu’à rabâcher les livres scolaires en vue d’empocher à la fin de l’année des diplômes qui ne valent d’ailleurs plus rien. Il y a un travail à mener à la base de l’enseignement, primaire s’entend, pour inculquer aux élèves l’amour de la lecture. Le chercheur Nordine Afaya, lui, pointe du doigt la femme. « La femme marocaine, dit-il, n’a pas l’habitude de lire et de s’intéresser au livre. C’est à travers elle que les valeurs, les contes, les histoires, les idées, les principes se transmettent. Bien sûr, l’homme a un rôle dans ce travail de transmission mais la femme principalement dans les sociétés évoluées comme l’Allemagne, la France et les pays scandinaves battent des records de consommation de l’écrit ».
Le romancier M’Barek Rabi se demande, d’un ton ironique, pourquoi il n’y a que les livres de gastronomie qui marchent dans notre pays! Il est, en effet, temps d’investir dans les cerveaux des Marocains plutôt que dans leur tube digestif.