Une tendance que confirme le chiffre de vente record atteint par un tableau du peintre orientaliste Majorelle, qui a plafonné à un million quatre cent cinquante mille dirhams, lors de la dernière vente aux enchères organisée le 26 mars 2005 à l’hôtel de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d’art (CMOOA), situé au quartier Bourgogne, à Casablanca. Trois mois et quelques jours plus tôt,
« Femme noire », du même peintre orientaliste, a été acquis à un prix de huit cent quatre-vingt-quinze mille dirhams. Chiffres qui, bien entendu, n’ont jamais été atteints par un peintre marocain, sachant que le plus haut prix réalisé par les nôtres n’a jamais franchi la barre des 210.000 dirhams. Ce record revient de plein droit à un artiste marocain défunt, en l’occurrence Ali Rbati. Gharbaoui, Cherkaoui, ou encore Chaïbia, viennent bien derrière. Remarquons que les artistes marocains les plus vendus sont généralement des défunts, mais ce n’est pas dans ce constat qu’il faut chercher une explication à leur percée posthume. Si ces artistes ont réussi à survivre à travers leurs toiles, c’est parce que ces toiles continuent d’interpeller les Marocains.
Leurs tableaux sont peints en couleurs hautement locales, leur contenu garde une prise sur notre réalité, et les matériaux utilisés sont finalement les mêmes que les Marocains utilisent dans leur vie de tous les jours (henné, peaux de chèvre, laine de mouton, etc), sans oublier certains symboles fortement ancrés dans l’imaginaire des Marocains –khmissa, pour conjurer le mauvais œil, ou encore des masques qui en disent long sur l’ancrage africain des Marocains. En bref, si ces artistes restent de loin les plus sollicités, c’est parce que, par leurs œuvres, ils expriment une identité, ou plus encore revendiquent une appartenance à une sphère géographique-culturelle précise.
Par ce que l’on vient de dire, il ne faut évidemment pas comprendre que les artistes marocains vivants ne vendent pas. Bien des artistes plasticiens de nos jours arrivent d’ailleurs à vivre suffisamment de leur art, mais ils restent pénalisés par un marché d’art qui n’est pas près de se structurer, et moins encore de s’organiser. De plus en plus de galeristes, qui affirment avoir la vie dure, déposent leur bilan. Et pour cause, disent-ils. A la désaffection présumée des Marocains pour les objets d’art, se conjugue un manque d’intérêt de la part de l’Etat pour le secteur. De l’Etat, les galeristes veulent obtenir un « statut particulier » selon lequel les galeries, qui ne devraient pas être considérées comme des entreprises commerciales, ont un rôle citoyen à jouer dans l’éducation des goûts.
En plus de la reconnaissance de ce rôle, l’Etat, à travers le ministère de la Culture, devrait octroyer des subventions aux galeristes, au même titre que d’autres secteurs (théâtre, cinéma, livre, etc).
Mais passons, la crise, si crise il y en a, ne peut être réduite à sa seule dimension pécuniaire. Le peu d’enthousiasme que les Marocains manifestent pour les objets d’art s’explique également par la nature, pour ne pas dire la qualité, du produit proposé. Les visiteurs sont libres de leurs choix. Si généralement ils n’affichent pas de préférence pour l’abstrait, c’est aux exposants d’en tirer les leçons. Il est préjudiciable de ne voir dans cette préférence que l’effet d’un manque de goût. Contrairement à ce que certains artistes pensent, les Marocains ont démontré, chiffres à l’appui, qu’ils sont prêts à acheter au prix d’or des tableaux de leur préférence. L’embellie que connaît l’orientalisme au Maroc est la preuve, s’il en faut, que ces Marocains aiment voir concret.