La non-lecture semble avoir la peau dure. C’est vrai. Soit. Faut-il pour autant charger uniquement les lecteurs ? Ces lecteurs n’ont-ils pas aussi le droit d’exiger un bon « produit », pour emprunter un terme au jargon du marketing. Osons le reconnaître : notre livre n’est pas à la hauteur des attentes.
On ne fait pas un livre comme on fait une salade. « En fait de livres, il faut savoir attendre », nous dit l’auteur de « L’œuvre au noir », Marguerite Yourcenar. Or, au rythme et dans les proportions des rotatives, on a accumulé des tonnes de navets. Preuve de l’insoutenable légèreté avec laquelle on traite l’écriture, c’est cet accablant mélange des genres : ce qui relève ni plus ni moins du jeu de « mots fléchés » est bombardé « poésie », le déballage parfois pathologique de son intimité est élevé au rang d’ « autobiographie», les discussions du café de commerce sont parachutées au niveau du « récit romanesque », les élucubrations délirantes de minuit deviennent le lendemain objet de «pensées », que sais-je, de philosophie.
Bien sûr, cela ne peut à lui seul justifier le manque de lecture chez nous. Mais la réalité montre que cela y est aussi pour beaucoup dans cette désaffection chronique à l’égard du livre. Et par conséquent à l’égard de la majorité des auteurs qui, paraît-il, ont pris un malin plaisir à «pisser de la copie».
Sinon, comment expliquer que rarement, pour ne pas dire jamais, un livre marocain a réussi à susciter un véritable débat sur des questions d’intérêt culturel, social ou politique ? Le milieu littéraire, ou soi-disant intellectuel, se découvre le spectacle désolant d’un long fleuve dormant. Le fameux pavé dans la mare a tardé à venir. Nos auteurs, la majorité en tout cas, semblent se complaire dans leur posture de spectateurs face à une société pourtant en pleine évolution. Alors que le pays se trouve à un virage déterminant de son histoire, après avoir réglé ses comptes avec le passé pour avancer et pouvoir rejoindre les autres, les « intellos » ont préféré regarder d’en haut, perchés qu’ils sont restés dans leur tour d’ivoire.
Une démission indigne, bien entendu, du véritable rôle que doit jouer l’éclaireur, le passeur du savoir, l’agitateur des idées et autres attributs que l’on prête généralement à l’intellectuel. Sommes-nous en train de subir ce que Julien Benda appelait « La trahison des clercs » ?
Bonne fête quand même…