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Abdelghani Fennane : «Abdelkébir Khatibi peut être présent à vous tout en étant ailleurs»

© D.R

Entretien avec Abdelghani Fennane, écrivain et enseignant-chercheur

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Abdelghani Fennane dirige un nouvel ouvrage collectif à propos du penseur marocain, Feu Abdelkébir Khatibi, décédé il y a 10 ans. Il s’exprime sur la visée du livre en traitant de l’œuvre du défunt dont l’esprit est visionnaire.   

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ALM : Pourquoi un ouvrage collectif dédié à Abdelkébir Khatibi en ce moment ?

Abdelghani Fennane : C’est un ouvrage pour célébrer le 10e anniversaire du décès de Abdelkébir khatibi. Comme vous le savez, nous faisons partie des sociétés qui ont un rapport défectueux avec la mémoire, ce qui entraîne nécessairement des ruptures de transmission, des pertes de repères, de maillons, des manipulations, etc. A. Khatibi a construit (j’utilise délibérément le mot «construire») une œuvre hospitalière. Souvent on insiste sur la complexité et l’hermétisme quand on parle de A. Khatibi, mais aujourd’hui je le vois sous cet angle, celui de l’hospitalité de par sa multiplicité, son dialogisme, ses ouvertures, les chantiers de réflexion et de création qu’elle inaugure pour autrui. A. Khatibi a souvent parlé de la postérité, parce qu’il savait que son œuvre était tournée vers le futur, inépuisable, qu’elle était en avance sur son temps. Cet ouvrage est aussi un rappel de l’exigence de la pensée (« Pensée-autre ») et de l’écriture (l’écriture comme construction de formes inouïes) dans un contexte où le credo de la communication, où la surproduction et le marketing littéraires prennent le dessus.

Nous voulons aussi attirer l’attention sur des problèmes de transmission et de perpétuation de A. Khatibi (la réédition d’ouvrages épuisés et la traduction en arabe de la totalité de son oeuvre, en l’occurrence), sur des possibilités d’exploration autres de son œuvre à travers la biographie, le documentaire audiovisuel, à travers des photos de lui ou des lieux qu’il a habités…

Quelle serait la différence entre votre livre et d’autres publications dédiées par d’autres auteurs à Khatibi ?

Avec le temps, les études qui abordaient A. Khatibi l’ont réduit à la figure de l’écrivain maghrébin de langue française. Or Khatibi est d’abord un penseur, ou plutôt un penseur-poète polygraphe. La pensée est le socle de son écriture. À chaque étape de son œuvre, il a forgé des notions pour écrire et continuer à penser à savoir l’identité aveugle, la différence sauvage, la bi-langue, l’inter-continent littéraire, la bi-pictura, l’aimance… «Celui qui vient de l’avenir, Abdelkébir Khatibi» est un ouvrage qui veut analyser et questionner la part théorique, politique, critique d’art, critique littéraire… dans l’œuvre de A. Khatibi. Dans «Figures de l’étranger dans la littérature française» (Denoël, 1987), il y a une belle utopie (l’«internation littéraire») qui, à ma connaissance, n’a pas été suffisamment élucidée par les critiques et les lecteurs de Khatibi. Dans «Ombres japonaises» (Fata Morgana, 1988), à travers le rapport au Japon, il y a la notion subversive de l’ombre. À la fin A. Khatibi voulait, je crois, s’ouvrir aux États-Unis comme en témoigne le livre posthume «Le Cheminement vers l’autre» (avec Samuel Weber). Il s’agit aussi de transmettre la passion «Khatibi» à de nouveaux lecteurs et chercheurs. C’est pourquoi il y a trois générations d’auteurs, que je remercie au passage, dans le livre.

Avez-vous réellement connu Khatibi de près ?

Non, je ne peux pas prétendre avoir connu réellement A. Khatibi. Par contre, je l’ai rencontré quatre fois, dans son bureau, à l’Institut universitaire de la recherche scientifique à Rabat, et deux fois, à Marrakech. Il n’est pas toujours facile de rencontrer les auteurs qu’on admire. Quand on approche A. Khatibi on voit très vite qu’il est un mélange de douceur, de mélancolie et d’intransigeance ; de négligence et de représentation. Il peut être présent en vous tout en étant ailleurs. Mais on devine très vite qu’il observe et passe tout au crible. J’ai rencontré le dernier Khatibi, accueillant comme toujours, mais moins disponible comme avant, d’après ce que des amis à lui m’ont dit, peut-être en raison de l’âge et des déceptions que certaines amitiés apportent.

Quel serait l’apport de la pensée de Khatibi pour l’ère actuelle ?

Il nous reste encore beaucoup à lire de A. Khatibi. Le lecteur arabe n’a accès qu’à une partie traduite de son œuvre ou à travers des articles dans les journaux et les revues. Quant à son actualité, elle est évidente à travers les questions du rapport au sacré et à soi dans les sociétés arabo-musulmanes, la question de l’altérité et le rapport à l’autre, notamment dans le contexte actuel des migrations et des extrémismes religieux ou laïcs, le processus de décolonisation qui s’accentue aujourd’hui en Afrique, à travers les liens souterrains qu’il a noués avec la créolité, à travers une certaine forme de «féminisme» dans son œuvre… sans oublier l’avant-gardisme de son écriture, l’écriture comme une valeur en soi.

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A propos de l’auteur

Abdelghani Fennane est écrivain- et enseignant chercheur à la Faculté des lettres de Marrakech. Parmi ses publications Poèmes en seul majeur, Poètes des Cinq Continents, L’Harmattan, 2015, La photographie au Maghreb (sous dir.), Aimance Sud Éditions, 2018 et Celui qui vient de l’avenir, Abdelkébir Khatibi, Éditions Toubkal, 2020. M. Fennane est également spécialiste de la photographie.

«L’ouvrage La photographie au Maghreb, Aimance Sud Éditions, 2018 que j’ai dirigé est le premier en son genre dans le monde. Il s’agit d’inaugurer un champ de réflexion et d’impulser la photographie dans les pays au Maghreb. C’est ce qui est en train de se faire et je suis content que ce livre y contribue», précise-t-il.

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