Culture

Abdelhadi Alami livre le débat d’idées

Abdelhadi Alami a présenté son livre au public le jeudi 4 mars à Casablanca. Dans une salle archi comble du Royal Mansour, où se côtoyaient anciens ministres et professionnels du secteur, administrateurs et universitaires, cette cérémonie de signature, un fait d’armes dans le secteur, ne pouvait que susciter un débat d’idées. Appartenant à une profession où certains pensent encore détenir le feu sacré, à tort ou à raison, et où les conflits d’intérêts font souvent les choux gras de la presse, l’auteur sait d’emblée qu’on n’écrit pas, «on ose un livre, on commet un bouquin» dans le tourisme, tellement l’entreprise est risquée, sujette à interprétations. De par son titre «Le Tourisme, l’Eternel Espoir», ce livre qui passe en revue les éternelles misères d’un secteur, et ces éternelles attentes, sevré qu’il est de programmes, mais en mal de décollage, avachi de scénarii de développement, mais sanctionné le plus clair du temps par des encéphalogrammes plats, peut passer pour pessimiste aux yeux de ceux qui pensent que l’espoir suffit pour faire tourner un moteur Diesel.
«C’est une bouteille en mer», prévient un Abdelhadi Alami, très à l’aise dans les mots, en parlant de son oeuvre. Ce livre est un rappel, non une dénonciation, une entreprise scientifique, passionnée par moment, avec des passages lyriques où la plume du narrateur prend le pas sur les calculs existentialistes d’un promoteur hanté par la lenteur des réformes et la platitude des courbes.
Mais avant tout, c’est un livre-rappel. Une sonnette d’alarme sur cette chère vision 2010, cet engagement aulequel beaucoup ont contribué. L’auteur cite non sans à-propos, la Fédération du Tourisme et son ex-président Mohamed Benamour, puis, laisse atterrir l’espoir des 10 millions de touristes sur la réalité. «Nous avons fait des projections. Mais 2001 est passée, 2002 est passée, 2003 est aussi passée. Nous sommes en 2004 déjà ! Nous n’avons vu arriver ni les croissances de 15% ni celles de 10%. Nous sommes restés sur le même scénario d’avant» ! Où se situe donc le problème ? Dans la salle, les réactions sont nombreuses. Universitaire de son état, le professeur Brahim Rachidi,entre tout de suite dans le vif du sujet, à propos du titre du livre : pourquoi «Eternel espoir» et pas tout simplement «tourisme, l’espoir». C’est que, explique Abdelhadi Alami, pendant quarante ans, nous avons vécu d’espoirs, de projections, de plans». Aujourd’hui, le constat est bien amer. Sans tomber dans le pessimisme, «cet état qu’André Gide, cité par l’auteur, décrit comme la ferveur retombée», il convient de faire l’état des choses. Partant, faut-il déterminer les responsabilités, et forcément, selon notre politique bien touristique, incriminer ? L’absence de coordination, supposée ou réelle, entre ministère et ONMT, les coûts d’une administration pléthorique sont cités coup par coup dans la séance des questions-réponses. Tout comme cette libéralisation du transport aérien à reculons, et qui met tout un monde entre le Maroc et la Thaïlande. Environ 500 compagnies décollent et atterrissent dans ce pays du Sud-Est asiatique. «Nous nous sommes contentés lors des dernières Assises du Tourisme, d’entendre et d’applaudir nos autorités qui nous promettent une nouvelle compagnie de charter !» La différence est aussi dans l’approche, rappelle Alami qui propose d’aller voir de près ce qu’ont fait les autres. «Chez les dragons asiatiques, on ne laisse pas la politique touristique à quelques personnes. Les décisions viennent des professionnels de toutes les régions. Ce sont 2500 personnes qui discutent, patiemment, point par point». Au Maroc, le suivi manque. Un agent de voyages, vieux routier comme il se nomme, avec à son actif 32 ans de métier, remue le couteau dans la plaie, en évoquant cette singulière politique touristique qui valse aux chaises musicales : «Nous avons connu 32 ministres du Tourisme en quarante ans. ! Un chiffre qui en dit long. Cette inconstance dans la politique touristique marocaine est traitée de long en large dans le livre de Abdelhadi Alami. Une analyse de l’intérieur, par un professionnel très au fait des chiffres et qui, le plus clair de temps, dans son ouvrage, évite de lâcher la bride au commentaire gratuit, et de porter le stigmate sur un tel ou un autre, s’appuyant partout sur la comparaison et l’éloquence des chiffres. Sont cités des pays et des programmes touristiques et non des hommes boucs-émissaires. «Un véritable document de travail», lâche le conseiller financier d’un investisseur arabe, actuellement en prospection du côté d’Agadir. Comme on le lit dans certains passages du livre, l’industrie touristique a payé un tribut lourd de toutes ces inconstances «Jusqu’en 1986, nous étions devant la Turquie, l’Egypte et bien des pays», remarque Alami.
Aujourd’hui, la panne du secteur est bien réelle. «Ne nous cachons pas cette vérité. Cherchons des solutions car, il y a forcément problème». Seulement, avertit l’auteur, en réponse à un intervenant qui lui demandait ce qu’il ferait en premier s’il était nommé ministre du Tourisme, il ne faut pas faire feu de tout bois. «Ce n’est pas un problème d’homme dont il s’agit». «Que voulez-vous que le ministre du Tourisme fasse si derrière lui, toute la profession n’est pas mobilisée ?». Et de rappeler cette donnée inhérente au tourisme et à la société marocaine, une société qui ne lit pas et qui a en horreur les livres. «Vous qui discutez du contrat-programme, l’avez-vous lu, combien dans la salle ont parcouru ce document consistant qui, à ce que je sache, n’a pas été vulgarisé, n’a pas été distribué à des millions d’exemplaires» ? Bref, ce premier livre qui dresse l’état des lieux serait incomplet si l’auteur s’en arrêtait là.
Ce serait comme une sorte de point d’interrogation. Sur la suggestion d’universitaires et de journalistes, Abdelhadi Alami réfléchit déjà à un autre ouvrage, qui sera lui, basé sur la planification des projets. Chose garantie d’avance : la multitude de vues, celles d’un financier, d’un promoteur et d’un observateur averti. Pourvu qu’entre-temps, le débat d’idées enclenché au Royal Mansour se poursuive pour être l’hirondelle qui annonce le printemps. Amen.

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