Culture

Abdelouahab Doukkali : «On ne peut jamais être parfait»

© D.R

ALM : Quelles sont vos nouveautés artistiques ?
Abdelouahab Doukkali : Je ne cesse de travailler, de composer, de prendre dans mes mains mon instrument et de choisir de bons poèmes. J’ai quelque 70 chansons qui sont presque prêtes. Malheureusement, il n’existe pratiquement pas de maisons de production spécialisées et professionnelles au Maroc. A ce niveau, je suis devenu un spectateur. Je vois, j’écoute, je suis ce qui se passe.
Je remarque qu’il n’y a pas de nouveauté, les gens suivent la mode. La tendance actuelle des maisons de production marocaines est de produire du «chaâbi», les «chikhate» et les gnaoua. Quant aux radios privées, (et je trouve qu’elles se ressemblent toutes), elles se limitent à la chanson du Moyen-Orient, et les chansons du Golfe. Les gens suivent cette mode, on ne peut pas le leur interdire !

L’année dernière, vous aviez dévoilé en avant-première un spectacle et le projet d’un album dédiés au répertoire soufi. Où en est ce projet aujourd’hui ?
C’est un spectacle de deux heures et qui ne comprend que des chansons soufies. Il va bientôt voir le jour, certainement à la télévision, dans les jours qui viennent. L’album n’est pas encore sorti, mais il est prévu pour bientôt. C’est pour moi un travail de longue haleine et qui m’a demandé plusieurs mois durant lesquels j’ai peut-être travaillé dix fois plus que je le faisais avant sur n’importe quelle œuvre. Ce ne sont pas des chansons faciles à composer. D’abord les poètes sont des soufis, et vous savez que le langage des mystiques est plein de symboles. Je me suis beaucoup documenté. J’ai sélectionné des textes qui m’inspirent et auxquels je suis sensible et dont les mots me sont accessibles. J’ai retenu des poèmes de sept soufis, le chiffre 7 étant rattaché au sacré (7 cieux, 7portes du Paradis, les 7 saints…). Ainsi il s’agit de Sidna Ali Ibnou Abi Talib, des imams Al Harrak, Chouchtouri, El Boussaïri, Chafiî, ou encore d’Ibn Arabi et Omar Al Khayam… Sur un thème spécifique, ces poètes érudits écrivent un texte dépassant des centaines de vers. Il me fallait choisir 10 ou 14 vers pour chaque chanson, tout en respectant l’esprit du poète, du philosophe, du soufi. C’est cela qui m’avait demandé beaucoup de travail.

Qu’en est-il de la partie composition dans ce projet ?
Pour ce spectacle, le style de la composition n’est pas celui qu’on entend tous les jours. J’ai puisé dans plusieurs musiques, notamment la musique soufie bien évidemment, et ce, pour pouvoir m’approcher d’une vérité et pour qu’il y en ait une dans ce que je fais, dans ce que je dis. J’ai même écouté de la musique négro spirituelle. Il s’agit de douze titres de huit à dix minutes chacune qui sont présentés durant ce spectacle. À mon humble avis, cela n’a jamais existé. Je souhaite à travers ce spectacle, ouvrir une nouvelle voie que ce soit pour les artistes marocains ou étrangers. Vraiment, moi, je me réjouis de ce travail.

Vous avez une carrière de plus de 50 ans, quel est le secret de cette réussite ?
C’est le respect du public, des gens qui vous aiment, le respect et l’amour du métier. Moi, j’aime apprendre tous les jours… Aussi chaque fois que je me mets devant un poème, je me dis que je vais composer la meilleure de mes oeuvres.

Chez vous, c’est le texte qui inspire la musique ?
Bien sûr, c’est le texte et puis la forme du texte, son contenu, son thème, sa rime et sa métrique. Tout cela influence la composition, notamment le fait que la mesure de la chanson soit un 4/4, 6/4 ou 6/8… ou que le rythme soit lent, Adlibi au début, rapide, que la gamme soit mineure, majeure, que j’introduise un « maqam» rasd, bayati ou autre, que je commence par la note aiguë, la tonique… C’est le poème qui dicte l’image musicale et sa structure.

Comment voyez-vous le succès qu’a eu la chanson Marsoul El Houb, notamment à travers sa reprise par d’autres chanteurs et chanteuses ?
C’est une chanson bénie parce que c’est la seule chanson dans l’histoire de la musique marocaine qui a été reprise par plus de cent chanteurs et chanteuses du monde arabe. Ce n’est pas une chanson nouvelle, mais elle reste tout de même jeune malgré ces trente-huit ans d’existence. Aujourd’hui, les chansons suivent une mode, elles ont une vie d’une rose qui, après un mois ou deux, se fane. Il y a actuellement des spécialistes, des maisons de production fortes du Moyen-Orient et du Liban qui arrivent à créer un artiste, qu’il soit de sexe féminin ou masculin. On le modèle, on le façonne, on le suit, on fait du tapage. On vous l’impose comme un produit de consommation. C’est vrai qu’ils investissent beaucoup d’argent. J’ai vu une fois le clip d’une chanteuse dont je n’ai d’ailleurs pas écouté la chanson, mais j’ai préféré la regarder parce qu’elle était merveilleusement belle. Tout était parfait. J’ai estimé que le budget du clip de cette chanson de cinq minutes, équivaut à celui d’un film marocain de cinq ou six millions DH. Mais ils savent ce qu’ils font, surtout les Libanais, on le sait très bien, ce sont de grands commerçants depuis l’époque des Phéniciens.

Pourquoi vous ne faites pas de clips et intégrez ce système commercial ?
J’ai fait des clips, mais tout de même, je préfère le direct, c’est comme le théâtre, c’est un art vivant. Aujourd’hui, comme par exemple l’industrie du cinéma avec ses effets spéciaux, tout est devenu sophistiqué. Par ailleurs, dans la représentation d’une pièce de théâtre, vous voyez la personne, elle est en face de vous. Une même pièce de théâtre peut être jouée pendant plusieurs années, et à chaque représentation le jeu diffère. C’est pourquoi j’aime la scène. Sur scène, on n’est jamais parfait, on ne peut jamais l’être, c’est pourquoi j’aime le direct. Donc, il faut accepter la personne avec ses défauts.

Que pensez-vous de la musique urbaine ?
Vous savez, j’ai découvert le rap il y a trente ans, et ce par hasard, un peu comme Newton a découvert l’apesanteur quand la pomme lui est tombée sur la tête. C’était en 1970 avec le titre «Howa wa Monique» et dont le sujet était le mariage mixte. J’ai essayé à plusieurs reprises d’écrire la musique de cette chanson, sans y arriver et sans être satisfait de mon travail. Alors j’ai opté pour une récitation sans expression musicale du texte. Et, je dis toujours que dans le rap c’est le thème du texte qui prime.
C’est souvent le thème d’une chanson où il y a une certaine révolte. Une révolte contre la société. Exemple : un bonhomme n’a pas trouvé du travail, sa mère est malade ou un jeune garçon n’a pas les moyens pour accéder à l’école… Il y a de quoi se rebeller. Mais dans ma chanson, il y a un certain espoir et un dialogue entre générations.

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