Culture

AL Moutanabi n’aime pas les taxis

© D.R

Tout le monde l’a remarqué. Il ne portait pas pourtant de vêtements richement brodés, ni de cape chatoyante. Mais dans la rue, quel concert de klaxons ! Que d’acclamations ! Les voitures s’arrêtaient, les passants cherchaient à le toucher. La femme plantait son mari pour se rapprocher de lui. L’enfant laissait tomber son jouet. Notre homme dégageait une telle lumière qu’il n’était pas possible de rester indifférent à son passage. J’ai eu peur que les agents de sécurité ne réservent un mauvais accueil à mon invité. On pouvait le soupçonner d’incitation au désordre. Lorsque j’ai fait part à Abou Tayeb Al Moutanabi de mes craintes, il a souri. “Le propre des poètes est d’embarrasser les gardiens de l’ordre“. Ce chapitre-là ne m’intéressait pas. Lorsqu’on atteint mon âge, on commence à trouver des vertus à ceux qui veillent sur notre sécurité. Al Moutanabi était rebelle à tout; et dans son orgueil légitime de poète, il considérait qu’il était trop élevé pour que les autres puissent voler jusqu’à lui. S’il pouvait savoir à quel point les hauteurs où nichent les poètes sont piétinées aujourd’hui. J’ai appelé un taxi. Pour mon grand malheur, une vieille voiture s’est arrêtée. J’ai ouvert la porte à mon illustre hôte qui a regardé avec mépris l’intérieur du véhicule. “Je vous prie ô très grand poète de bien vouloir prendre place ?” “Où ?” m’a-t-il répondu. Et moi de m’abaisser, en dépit de ma taille qui n’est pas très grande, pour lui montrer le siège arrière. “Vous n’êtes pas sérieux en m’invitant à m’asseoir dans cette boîte. Le bahut où je range mes vêtements est deux fois plus grand !“ Le taxi-driver n’a pas apprécié que l’on parle avec mépris de sa caisse. Il voulait en découdre avec mon invité. L’esprit du chauffeur de taxi s’est échauffé, sans doute le jeûne, et il a lâché un jet d’invectives aigu sur Al Moutanabi. Ce dernier le regardait avec un amusement étonné. “À votre époque aussi, les poâtes sont partout ?“ Ce n’est pas un poète lui ai-je dit, mais un homme qui a comme tant d’autres la gâchette de l’insulte trop sensible. J’ai pris mon invité par le bras et je l’ai conduit jusqu’à la maison. Arrivé à bout de souffle, je lui ai demandé de la poésie, sa poésie. Que les vers d’Al Moutanabi sortent de la bouche de leur auteur. Quel émerveillement ! C’était la première que j’entendais de la poésie. J’en avais lu, et ma voix intérieure pouvait lui restituer de l’émotion, mais je n’avais jamais entendu auparavant déclamer, avec éloquence et assurance, des vers. J’ai bu comme un élixir de jeunesse les mots de mon hôte. Et quand il est reparti, une immense démangeaison d’écrire m’a pris. C’est sans doute le démon d’Al Moutanabi.

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