Culture

Albert Cossery, une œuvre prémonitoire: Un roman de prémonition

© D.R

L’œuvre de l’écrivain égyptien Albert Cossery est colossale. Découvert par Henry Miller, l’écrivain d’origine copte a laissé derrière lui quelques romans d’une précision chirurgicale sur les dérives du Monde arabe. Des œuvres aux consonances prémonitoires.

On retrouve dans tous les livres d’Albert Cosseryla même verve nonchalante, le même regard sans compromis sur une Egypte et un mMonde arabe à la dérive. «Les fainéants de la vallée fertile», «La Maison de la mort certaine», «Complots de saltimbanques» que des titres qui en disent long sur l’univers impitoyable, drôle, grinçant d’un auteur inclassable.

Dans Mendiants et orgueilleux, considéré par certains comme son chef d’œuvre, c’est le même regard acerbe sur un quartier cairote livré à lui-même où la misère grossit livrant à la vue du monde la promiscuité, la perdition, la mort de tout espoir. Nous ne sommes pas pour autant dans une littérature du désespoir ni de l’absurde. Mais une vision du monde teintée d’ironie sur la condition des hommes. Ce livre culte de la littérature arabe d’expression française a été adapté au cinéma par la cinéaste égyptienne Asma El Bakri. Une lecture au poil d’un roman dur. D’emblée, le film s’ouvre avec une image terrible. Une chambre, un homme couché sur une pile de journaux qui lui sert de lit. De l’eau savonneuse qui entre par la porte. C’est un mort qu’on lave dans la pièce à côté.

Tout est dit dès les premières lignes. Tout est clair dès les premières images. La suite, ce sont les pérégrinations de Gohar, un ancien professeur de philosophie qui ne croit plus en rien. Un meurtre dans un bordel, une enquête de police pour révéler les soubassements d’un monde déjà frappé par la damnation. Mystères, secrets, femmes perdues, jeunes filles en fleurs livrées à l’abattoir des jours, une population de morts-vivants qui avancent dans la vie animés par un instinct de survie qui brûle ses dernières cartouches.

Bref, pas une lueur d’espoir dans une venelle du Caire version fin des temps.
D’ailleurs même le meurtre de cette jeune prostituée vient corser cette vision noire d’un monde sans repères. Albert Cossery, fidèle à sa façon de tourner le drame en comédie, laisse planer sur tout ce monde un voile de ridicule qui sonne comme un couperet prêt à fondre sur la tête de tous.

On rit, mais d’un rire grinçant tant les uns et les autres, dans ce conglomérat d’humains, en faction devant l’inéluctable, sont condamnés d’avance. Albert Cossery livre ici avec presque 40 ans d’avance le sort d’un pays comme l’Egypte aux prises avec l’absence de débouchés. Comme si cette terre ne pouvait plus donner corps à rien de bon et de fertile pour construire un lendemain moins noir. Une Egypte exsangue. Un peuple qui a abdiqué. Une histoire qui se roule sur elle-même, se mordille la queue, comme une vipère qui ne réussira jamais sa mue. Mendiants et orgueilleux signe la fin d’une époque et l’hypothétique volonté d’une naissance déjà avortée.

Révoltes avortées
En sept textes majeurs, Albert Cossery a gravé son nom dans le panthéon des écrivains les plus importants de son époque. Une vision sans compromis sur le monde, de l’ironie, beaucoup d’humour et une écriture simple, mais qui touche à l’essentiel sans se travestir en fades exercices de style. Avec Les hommes oubliés de Dieu (1941), La maison de la mort certaine (1944), Les fainéants dans la vallée fertile (1948), Mendiants et orgueilleux (1955), Un complot de saltimbanques (1975), Une ambition dans le désert (1984), Les couleurs de l’infamie (1999), Albert Cossery a fait le diagnostic avant l’heure du devenir d’un monde arabe qu’il a très tôt quitté. De son Égypte d’origine à Paris, où il a vécu dans la même chambre d’hôtel durant toute une vie, Albert Cossery a prédit les soulèvements arabes. Il a aussi prévu leurs échecs, sans détours. Dans toutes ses œuvres, le peuple est en question.

Le peuple affamé, perdu, opprimé, mais qui ne sait pas comment se soulever contre la tyrannie de gouvernements de potentats avachis et vautrés. Alors, Cossery traite l’impuissance des gouvernés avec humour. Il dévoile avec dérision les travers des dictatures arabes où la schizophrénie le dispute violemment à la paranoïa. Les titres de ses romans en disent long sur leur contenu. Une jubilation d’écriture où le ton est constamment léger. Pas la moindre lourdeur chez un écrivain qui a pris beaucoup de recul pour raconter un monde perdu d’avance. Tout y est : extrémismes religieux, guerres du pouvoir, soulèvements avortés, promiscuité, misère, révoltes du pain, silence des sens et peur de lendemains incertains.

Une maison qui menace ruine, un complot de clodos, des actes terroristes dans une île pétrolifère, les personnages d’Albert Cossery sont tous des archétypes qui évoluent dans des univers improbables. Albert Cossery, mort en 2008, après avoir vécu en solitaire, loin des regards et des feux des médias. Un immense écrivain méconnu, un homme discret, mais dont les paroles porteront toujours loin dans un monde arabe à la dérive.
Comme on l’a vu, Albert Cossery était spécialiste dans la radioscopie du monde arabe. Avec «La violence et la dérision», édité chez Joëlle Losfeld, c’est une caricature des régimes arabes qui est donnée à contempler. Tous les romans d’Albert Cossery sont liés par le même fil d’Ariane. Une certaine violence et une certaine dérision.

L’horreur est toujours décrite avec humour. La misère coule dans un écrin spirituel. C’est cela la force de l’écriture d’Albert Cossery, adapté au cinéma de belle manière par Asmae Al Bakri, dans Mendiants et orgueilleux. Dans ce roman prophétique, qui est une vision de l’Égypte actuelle cinquante ans plus tôt, la violence d’un peuple et la dérision du politique ne font pas bon ménage. Nous sommes devant une population sous la coupe d’un despote débile. En face, un groupe d’illuminés lutte à coup d’affiches publicitaires. Nous sommes au Proche-Orient. Cela peut être l’Égypte, mais aussi n’importe quel autre pays. La Syrie, l’Irak, le Liban, la Libye ou la Tunisie. Un jeune homme, Karim, fait front devant la politique sociale de ce gouvernement qui refuse de voir des mendiants et des filles de joie dans les rues. Il devient du coup le protecteur d’une prostituée, Kamar, dont il est tombé sous le charme. Mais Karim est un enfant. Son métier est de confectionner des cerfs-volants pour donner le sourire aux gosses.

Mais cette parenthèse dans sa vie ne l’a pas trop éloigné de son passé de révolutionnaire.
A sa sortie de prison, il met sur pied une confrérie de malfrats qui décident d’en découdre avec le tyran à coups de dérision.
Cette société regroupe des hommes étranges, d’horizons divers. Un trafiquant analphabète, un dandy qui ne possède qu’un seul costume, un professeur qui apprend aux enfants à ne pas écouter les adultes. Et, bien sûr, la belle Kamar. Une vieille femme devenue folle, mais qui fait preuve d’une étonnante clairvoyance à l’égard du monde qui l’entoure. Une œuvre actuelle qui décrit ce que le monde arabe traverse aujourd’hui face à des régimes tyranniques déchus et l’impossibilité de reconstruire un monde viable.

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