Culture

Alpha Blondy : «M. Sarkozy ne connaît pas l’Afrique»

© D.R

ALM : Vous faites du reggae traditionnel, c’est-à-dire une musique résolument politique. Est-ce qu’en se modernisant ce style ne perd pas son vrai message ?
Alpha Blondy : Je suis là parce que le reggae traditionnel fait peur aux politiques. Ils aiment anesthésier le peuple. Et pour tuer le reggae traditionnel, ils ont voulu envelopper son message dans la fumée de la marijuana pour dire que le reggae est fait pour les fumeurs d’herbe. C’est ce qu’ils ont encouragé. Cela fait 14 ans que je ne fume plus de la marijuana parce que j’ai compris. Je fumais trop, 50 joints par jour, j’étais herbivore (rires). À chaque fois que je voulais arrêter, on me disait ah non si tu arrêtes l’herbe tu n’es plus un vrai rasta. C’est faux. C’est aussi faux que dire que pour être un rasta, il faut avoir des cheveux en «dread locks». Le reggae orthodoxe fait peur et il fallait bien enfumer le message de Bob Marley pour le discréditer. D’ailleurs, c’est pour cela qu’ils avaient réussi à noyer Bob Marley dans la cocaïne.

Qu’est-ce que vous dites aux jeunes ?
Je dis aux jeunes que le combat a changé de forme. Ça se passe là, dans la tête. Comme on dit chez nous en Côte d’Ivoire, «ça se passe dans le tibia» (référence à son crâne). Je veux des jeunes qui soient des médecins, des ingénieurs, des chercheurs, des gens honnêtes avec le pouvoir de décision, je veux ce qu’on appelle chez nous «des papiers longueur. Si ta rasta gêne le regard, tu coupes tes cheveux bien plat, tu mets un costume et tu es bien là, à la Barack Obama. Les rastas de demain, ils le sont de l’intérieur. Je veux que le reggae ne soit pas fait que pour remuer les coupes mais les méninges. Je veux que les jeunes sachent et comprennent que «demain leur appartient» comme dit la chanson et ils n’ont pas droit à l’erreur. Le reggae n’est pas une mode, c’est une musique de conscience, de combat.

Dans votre répertoire, la spiritualité occupe une grande place. Comment se décline cette philosophie ?
Marley a dit «Almighty God is a living man», si tu cherches Dieu et que tu a vu l’homme, tu as intérêt à le respecter. Dieu a fait l’homme à sa propre ressemblance. Si tu ne respectes pas celui qui est là tu crois que tu vas aller là-haut? Dieu, je l’adore parce qu’il est subtil et des fois cynique. Dieu vous a donné un Paradis ici et puis vous voulez aller au paradis là-haut. Vous n’avez pas compris ce qui est en face de vous ici. Vous n’avez pas apprécié. Pour aller au paradis, il faut que tu meures ici que tu me restitues la vie que je te dois ensuite tu vas pourrir, et puis je vais te juger. Si dieu n’avait pas promis le Paradis, l’homme ne l’aurait pas adoré, l’homme n’aurait pas fait du bien? Je n’attends ni le paradis, ni l’enfer. Dieu est un Dieu de miséricorde, un Dieu de pardon. Il m’a créé et je n’ai rien payer. Il n’y a pas de raison de me mettre en enfer si je le respecte lui en tant que Lui. À travers chaque homme, il y a Dieu. C’est ce que cela veut dire la jolie phrase de Marley. C’est ma vision et c’est le rastafari. Le message spirituel de Marley met l’homme et l’Afrique en valeur.

A propos de l’Afrique, vous aviez eu une correspondance avec le président Sarkozy.
Et je crois que M. SarKozy ne connaît pas bien l’Afrique. Il y a des mots utilisés dans sa politique que je lui reproche comme «discrimination positive», «immigration choisie». À propos de ces derniers, j’ai dit, attention pour l’Afrique, il faut respecter notre susceptibilité historique. Parce qu’il y a eu une immigration choisie qui nous est restée à travers le gosier, où on a pesé nos muscles, on a pesé «les couilles», on a compté les dents, et on a choisi les plus robustes. Cela nous rappelle trop l’esclavage. Et il m’a écrit pour me dire que l’immigration choisie c’était l’immigration régulée. Je suis d’accord avec lui, mais quand même, ce n’est pas moi qui vais lui apprendre le français.

Quelle est la solution que vous proposez à la France ?
Ce que j’ai dit à l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire et qui m’a fait l’honneur de m’écouter, c’est si vous ne voulez pas être envahis par ce flot d’immigration de clandestins africains, aidez-nous à stabiliser nos pays, évitez de cautionner les régimes dictatoriaux qui régissent nos pays, les actes qui déstabilisent nos pays, et qui poussent les jeunes à aller vers l’aventure. Voilà ce que je demanderais à tous les grands pays, la France, l’Angleterre, les Etats-Unies, l’Italie et j’en passe: Arrêtez de vendre des armes à des pays pauvres, à des régimes militaires. Je voudrais encore dire à M. Sarkozy que nous, Africains, on se sent blessés par son attitude. Je souhaiterais qu’il révise sa position méprisante vis-à-vis de l’Afrique. Qu’il vienne au Sénégal dire que l’Homme africain n’est pas entré dans l’histoire, c’est incorrect et politiquement mal élevé. Quand on t’a accueilli avec les tams-tams sous le soleil ce n’est pas toi Sarkozy en tant que tel, mais c’est la France qu’on reçoit. Quand il va chez les Maliens et dit que la France n’a pas besoin de l’Afrique sur le plan économique, je lui réponds outre que c’est avec le sang de nos grands-pères que vous êtes devenus libres, que la France n’a pas le potentiel du cacao, n’a ni l’uranium, ni le pétrole, ni le café, ni le bauxite, ni l’or, ni le diamant, ni le colombite-tantalite… Je lui demande sincèrement de nous respecter, de respecter notre pauvreté. Quand on a contribué à appauvrir un continent, on doit avoir la décence de respecter ceux qui sont restés avec les miettes.

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