L’artiste-peintre Narjiss El Joubari présente jusqu’au 22 juin 2025 ses derniers travaux à la Villa des arts de Rabat. Une occasion de revenir sur le travail d’une artiste qui a fait du chemin.
À mon sens, le peintre a toujours comme désir et volonté présidant à l’acte de peindre, le souci d’inscrire son œuvre dans une optique qui va de l’interrogation sur l’être à la puissance du devenir. D’où l’importance du mouvement dans toute peinture, qui va à l’essentiel, qui se déleste de l’anecdotique pour raconter l’existence même, le fait même d’être là et de vouloir parler, s’exprimer, passer de soi à l’autre. On ne peut imaginer ces formes qui habitent la toile, en leurs signes et significations, remplis de pathos (dans le sens de passion de vivre), aussi ancrés dans le temps que les premières traces de vie sur Terre. Et la toile se précise comme un terrain d’existence où toutes les places ne sont pas à prendre. Il faut bien laisser à l’inconnu une part de mystère comme dans un décodage à venir.
C’est exactement cela, le sentiment que l’on ressent face aux travaux de Narjiss El Joubari, qui de son Assilah et ses symboles de réminiscence à ses derniers travaux exposés aujourd’hui dans la capitale, le cheminement est certain, le trait clair et juste et l’expression multidimensionnelle.
En effet, au-delà de cet ensemble d’œuvres qui s’étalent sur plusieurs années, Narjiss El Joubari est marquée par une ligne de conduite unique. Avant d’aller plus loin et de parler de ce travail se déclinant en différentes périodes picturales, concentrons-nous sur cette attitude face à la peinture. Narjiss El Joubari vit l’art d’une manière très différente de ce que nous avons l’habitude de voir. Avec un engagement total pour son travail: «Je reste convaincue que créer est un don divin et que l’art est aussi un don humain, chacun pour l’autre, dans un élan pur qui ne souffre aucun intérêt autre que le bonheur». Alors, l’artiste travaille, se recueille, se penche sur son vécu et ses expériences au-delà de toutes les contingences et cherche son épicentre dans une foultitude de choses pour donner un sens au quotidien, et au-delà, à ce cheminement sur terre, qui doit laisser des empreintes : «La peinture n’est pas un accident dans ma vie, mais un choix assumé. Je suis née et j’ai grandi à Assilah, et c’est là que j’ai découvert un univers à part. Ma passion pour mon travail n’avait aucune limite et je le vis avec autant d’énergie et de passion». C’est dire tout l’attachement que l’artiste a pour son œuvre et pour les géographies qui la portent, de l’enfance et ses éblouissements à aujourd’hui, avec une maîtrise de son art et l’ouverture sur d’autres horizons, passant d’une époque picturale à une autre, avec autant d’aisance et de profondeur.
D’ailleurs, c’est ce cheminement qui marque dans le travail de Narjiss El Joubari. Nous sommes face à une lecture du temps qui défie les époques. On dirait que cette femme vit dans une continuité temporelle. Le temps s’écoule sans accroc, sans ruptures, sans arrêt. D’un travail à l’autre, à travers l’évolution et les mutations de son art, Narjiss El Joubari garde sous la main le même doigté. Elle maîtrise son savoir-faire qu’elle a peaufiné au fil des jours et des heures interminables de travail minutieux sur le détail le plus fin, le point le plus imperceptible, mais qui revêt tout son sens sous son regard. Oui, à travers les toiles, la technique de Narjiss El Joubari est toujours bien maîtrisée, le sens des couleurs, l’architecture globale du tableau et une subtilité dans les formes et dans les traits. Avec, en prime, une volonté de toucher à plusieurs techniques, ce qui drape la toile d’un brin de mystère, ce quelque chose qui fait que le tableau saisit celui qui le regarde et l’incite à un dialogue en monologue.
C’est cette variété qui donne à ce travail d’autres dimensions aussi riches et variées, qui, selon chaque support, nous offre une autre manière d’appréhender la peinture et les formes. «J’expérimente plusieurs techniques, et ce, depuis mes débuts. Je ne limite pas mon travail à un seul support. Je peux travailler plusieurs projets conjointement et chacun, avec ses propres couleurs, formes et règles. Cela remonte à mes débuts et à mon apprentissage. Cela remonte également à mon héritage dans Assilah, avec toutes ces figures qui nous ont appris que l’artiste doit maîtriser plusieurs techniques et relever plusieurs défis. Je travaille aussi les peintures murales comme ce que j’ai réalisé dans ma ville natale. Vous me donnez n’importe quel mur, de préférence grand, et je vous montre à quel point un support mural est une jouissance pour l’artiste. C’est cette diversité dans les techniques qui me donne la possibilité de travailler avec aisance et sérénité. Et plus c’est nouveau, plus le défi est immense».
En effet, chez Narjiss El Joubari, on trouve toutes ces périodes picturales qui sont à lire comme une manière de remonter le temps et par là même faire un retour sur l’histoire des arts plastiques au Maroc, puisque Narjiss El Joubari incarne l’une des périodes cruciales de cette histoire, cette modernité remodelée par un autre regard et une autre manière d’approcher et d’appréhender l’expression artistique, dans toutes ses ramifications et toutes ses dimensions : «Je ne peux pas accepter le remplissage. Je peins avec précision, ce que je pense et ce qui vit dans mon imagination. Et j’essaie de rendre avec exactitude mes sentiments».
Des sentiments forts, déclinés avec finesse. Aujourd’hui, Narjiss El Joubari travaille sur des thématiques très actuelles. Dans ce dernier travail, on ne sait plus où commence l’humain et où débute l’imaginaire, qui ouvre sur tous les possibles tout en questionnant celui qui reçoit, celui qui entre en communication avec la peinture. Aujourd’hui, l’artiste opère une continuité des éléments dans une alchimie toute personnelle qui ne vise que l’élévation et l’épuration. Oui, nous sommes face à une célébration qui élève l’homme, lui donne encore plus d’ancrage dans un monde où les uns et les autres se coupent de la source et s’éloignent des racines même de la vie. Tout un travail consacré à cette rencontre fait de la peinture de Narjiss El Joubari une escale importante dans l’histoire de la peinture marocaine. Cela octroie à ce travail qui se renouvelle en continue une force qui va à l’essentiel, sans fioriture, sans effets de style, sans pléthore, mais avec la simplicité de ceux qui savent s’adresser à l’humain par le cœur.