Culture

Beaucoup de bruit pour rien

© D.R

Depuis des mois, les médias américains se passionnent pour le film de Mel Gibson “The passion of the Christ“. Avant même de l’avoir vu, plusieurs personnes l’avaient accusé d’antisémitisme. La polémique, au fil des semaines, n’a pas cessé d’enfler et même de prendre des proportions jamais vues jusque-là. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le film a fait couler beaucoup d’encre et, du même coup, a bénéficié d’une gigantesque publicité gratuite, que Mel Gibson (qui a produit le film avec son propre argent) et ses conseillers ont su très bien exploiter. Pour preuve, “The Passion“ a engrangé, rien que pour sa première journée d’exploitation aux Etats-Unis, 26 millions de dollars, ce qui lui garantit d’emblée une place de choix dans l’histoire du box-office mondial.
La question qui ne cessait de revenir partout, provoquant des réactions incroyablement exagérées, est la suivante : Qui a tué Jésus-Christ ? Je suis allé voir le film vendredi dernier dans un grand cinéma à New York, “Regal“, se trouvant à Union Square. Les spectateurs, évidemment, ne se contentaient pas de voir le long-métrage, ils mangeaient des pop-corn et buvaient du Coca Cola. Aux Etats-Unis il faut très vite s’habituer aux gens qui dévorent en permanence… et partout ! Autant vous donner tout de suite la réponse à cette question, relative à l’identité des assassins du Christ : le film n’apporte rien de nouveau qu’on ne savait déjà à propos de la Passion, à travers le Nouveau Testament et toute l’iconographie chrétienne qui a illustré durant des siècles la vie de Jésus-Christ. Pilate, le Consul de l’empire romain, laisse aux Juifs le choix, libérer le meurtrier Barrabas ou bien crucifier Jésus-Christ. Ils choisissent la deuxième possibilité.
Le film de Mel Gibson raconte les douze dernières heures de la vie du Messie, depuis la trahison de Judas jusqu’à la crucifixion et la mort du Christ à Golgotha. Il faut reconnaître au film des qualités artistiques indéniables. Le décor, les costumes, l’interprétation des acteurs (aucune star, si ce n’est la belle Italienne Monica Belucci, pour une fois juste dans sa façon de jouer, dans le rôle de Marie Madeleine), la musique, le son, tout est fait avec soin, avec brio pour certaines scènes. Mel Gibson, star du cinéma comme acteur, a aussi réalisé deux autres longs-métrages, dont le très laid “Braveheart“. Sa mise en scène est correcte, abusant peut-être un peu trop du ralenti, mais globalement conduisant le récit de façon très prenante et introduisant les flashes back d’une manière pertinente. “The Passion“ dure un peu plus de deux heures, et il est impossible de penser à autre chose durant la projection, tellement on reste scotché à l’écran, hypnotisé par ce qui y est projeté. Il faut le dire : ce film a un grand pouvoir sur le spectateur, il le magnétise, l’ensorcelle, et c’est là où réside le problème.
Le plus terrible, et fascinant en même temps, sont les souffrances endurées par le Christ durant tout le film qui pourrait se résumer en ceci : un corps souffrant. Mel Gibson a choisi d’être très (trop ?) réaliste, il montre tout (mais vraiment tout, avec parfois des détails insoutenables, morbides) ce qu’on inflige au corps du Christ, les crachats, les insultes, les flagellations, les coups de pieds, de poings, la crucifixion… Le corps du Christ est tellement meurtri, ensanglanté, qu’il rappelle celui d’un animal qu’on vient de sacrifier et qu’on est en train de dépecer. Il y a beaucoup de sang dans ce film, mais certainement pas le même sang que celui qu’on voit dans les films de Quentin Tarantino, “Kill Bill“ par exemple pour ne citer que ce dernier. Non, le sang que montre Gibson est celui de quelqu’un qui croit vraiment en Jésus-Christ, en sa passion, et qui le montre au premier degré. Mel Gibson n’a jamais caché sa grande foi chrétienne (il appartient même à une secte très extrémiste qui ne reconnaît pas le Pape), et elle est plus que visible dans ce film. Il est sincère dans sa démonstration, mais il ne s’arrête pas là. Il veut manifestement convertir d’autres personnes, les amener à croire aux mêmes dogmes, jugés par certains comme archaïques. Et “The Passion“ devient franchement dangereux. Pire : une gigantesque mission d’évangélisation à l’échelle mondiale. Le film, on s’en rend compte après, une fois qu’on est en dehors de la salle de cinéma, dans les rues agitées et excitantes de New York un vendredi soir, ne dépasse pas le seuil du premier degré. Il n’y a aucune distance par rapport au sujet, aucun questionnement. Et ce n’est pas un hasard si les institutions chrétiennes ici aux Etats-Unis l’ont plus que soutenu.
Contrairement au magnifique “La Dernière tentation du Christ“ de Martin Scorsese, tourné en 1987 à Ouarzazate, qui s’interrogeait sur la question de la foi et qui proposait un Christ doutant de sa mission au moment de sacrifier sa vie, allant jusqu’à reprocher à Dieu de l’avoir abandonné, le film de Gibson est bien naïf, ou plutôt se veut naïf, innocent, et est finalement plus que dangereux : une infernale machine de propagande.

• Par Abdellah Taïa
Écrivain

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