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Belaid El Akkaf: «Quand j’analyse la musique d’Ammouri Mbarek, je trouve qu’elle est savante»

© D.R

Entretien avec Belaid El Akkaf, musicologue marocain

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Rencontré, à Taroudant, lors de la célébration de la 7ème année de disparition de l’artiste amazigh Ammouri Mbarek, le musicologue Belaid El Akkaf raconte les dessous de sa relation avec le défunt. Il remonte jusqu’à certains moments passés ensemble. «On marchait à pied jusqu’à Taroudant , révèle M. El Akkaf. Tel qu’il le confie, le regretté était très généreux. De son vivant, il a un de ces jours donné tout son cachet à une femme pauvre, confie-t-il lors d’une conférence organisée après la visite de la tombe du chanteur disparu au douar Mzghala à environ 14 kilomètres de Taroudant.

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ALM : Vous êtes connu chez les artistes et les médias, mais pas auprès du public. Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs ?
Belaid El Akkaf: Je suis lauréat de l’institut supérieur Tchaikovsky à l’ex-URSS et également professeur de musique dans plusieurs instituts dont le conservatoire national de la musique, l’Isadac, l’Institut supérieur du cinéma. Je suis également chercheur à l’Ircam et auteur de plusieurs livres de musique. En outre j’ai fait la musique de 43 films ou séries comme le feuilleton «Hdiddane», «Rommana w Bertal», ainsi que celle de films amazighs. Lors du 10ème Festival du cinéma de Tanger j’ai eu le prix de la meilleure musique de film. J’ai eu aussi un prix au festival de Laâyoune en 2017 et d’autres Prix comme le diplôme de reconnaissance des États-Unis en 2005, un autre diplôme et une médaille Vermeil en France en 2013 et d’autres prix nationaux et des hommages internationaux en Inde, au Chili. J’ai bien représenté le Maroc. Actuellement, j’écris des livres. Depuis 2012, je suis à mon 16ème ouvrage.

Vous étiez un grand ami de l’artiste amazigh défunt, Ammouri Mbarek, décédé le 14 février 2015. Cette année, sa famille célèbre ses 7 ans de disparition. Pourriez-vous nous raconter les dessous de votre relation ?
Pour moi, c’est lui le doyen de la chanson amazighe. Ammouri Mbarek est un génie. Notre relation était bonne. C’était non seulement une relation artistique mais aussi d’amitié. Nous sommes des membres fondateurs du groupe «Ousman» (l’éclair) en 1974 avec Omar Amarir. Le défunt était aussi le poète de ce groupe par excellence. Ammouri Mbarek est un grand artiste. Nous n’avons reconnu sa valeur qu’après sa mort parce que nous avons beaucoup fait de recherches à propos de lui par la suite. Quand j’analyse sa musique, je trouve qu’elle fait partie de celle savante. Il concevait des compositions rarissimes. Il est resté attaché à la fois à l’authenticité et la modernité de la chanson amazighe. Il était toujours moderne et avait un grand goût artistique pour la musique universelle dans toutes ses catégories.

Alors n’est-il pas temps de mieux diffuser sa musique ?
Tout à fait. Hélas ! outre un livre sur le groupe «Ousman» depuis sa création jusqu’au décès d’Ammouri Mbarek, j’ai un seul livre en français «Ousman Revival» où j’ai mis toutes les chansons enregistrées par ce groupe. Malheureusement, le livre devait être muni d’un CD mais je n’ai pas trouvé ces chansons. Nous n’avons que des disques anciens. Donc je n’ai pas pu rassembler toutes les chansons. J’avais aussi des cassettes depuis 30 à 40 années.

Ammouri Mbarek était également membre du groupe «Souss Five» qui chantait également en français et anglais. Est-ce à dire que le défunt maîtrisait ces langues ?
Depuis son enfance, le regretté était musicien. C’était inné chez lui. il participait tout le temps aux activités artistiques scolaires. A un moment, les jeunes à l’époque parlaient en anglais sans le lire. Nous apprenions juste les chansons sans en connaître le sens. Nous appréciions les Beatles, les Rolling Stones, Elvis Presley, Frank Sinatra, Ella Ftizgerald, etc. A l’époque, Ammouri a eu l’idée de créer son premier groupe «The Birds» puis «Souss Five». A ce moment-là, nous ne connaissions pas encore Ammouri Mbarek. Le groupe n’était connu qu’à l’échelle provinciale. A l’époque j’avais mon groupe «Les fantômes» en 1969. Nous chantions en anglais et français. C’était une mode. Il ne nous venait pas à l’esprit qu’on allait chanter en amazigh ou arabe que les Mégri faisaient. J’étais leur ami d’ailleurs depuis les années 70 et même avant. Nous avons fait une tournée et présenté deux spectacles à l’Olympia. Mahmoud venait nous donner des idées. Les Mégri c’est les Beatles du Maroc. Ils ont fait l’aventure et introduit la musique juvénile à l’époque. Ils ont même fait leur apparition avant leur temps. C’était le cas aussi pour Ousman créé en 1974 à l’initiative de l’association marocaine de la recherche et l’échange culturel qui transmettait des messages sur la cause amazighe via des livres mais ça ne marchait pas. C’est ainsi que les messages étaient véhiculés via la chanson.

Qu’en est-il de votre conception de l’évolution de la chanson amazighe?
Elle avait déjà évolué depuis 40 ou 50 ans. Au contraire, elle a commencé à perdre de son authenticité. A la télé, j’ai vu des jeunes faire du rap en amazigh et dire présenter fièrement notre culture aux étrangers alors que le rap n’est qu’un nuage passager, le rap ne fait pas partie de notre culture. Il est vrai qu’il y en a ceux qui sont attachés à cette authenticité en recourant à des instruments occidentaux et ce n’est pas méchant. Il faut plutôt respecter les tons et les rythmes amazighs sans recourir à ceux occidentaux ou d’autres comme le reggae ou encore orientaux. Alors que cela ne fait pas l’évolution de la musique amazighe dont il faut être fier.

Auriez-vous des projets ?
A vrai dire, il m’arrive d’avoir spontanément l’inspiration qui est plus belle en art que le don. L’inspiration est une force cachée qui change de la réflexion chez l’artiste pour en faire un simple instrument et je ne sais pas quand je l’aurai. Pour répondre à votre question, j’ai un projet de livre, «Une méthode complète», que j’ai écrit en 78 alors que je commençais à enseigner la guitare au conservatoire national de Rabat. Je viens de le mettre à jour et corriger. Je crois que je l’imprimerai en fin mars.

Un dernier mot…
J’espère que la musique au Maroc aura un bon écho chez les responsables. Il y des salles de sport de proximité alors qu’il n’y a pas que le foot. Il faut penser aux salles de proximité qui seront adaptées à l’artiste, l’artiste-peintre, au comédien de théâtre qui peuvent continuer à créer et dont les œuvres peuvent les immortaliser.

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Témoignage du neveu du défunt

A propos d’Ammouri Mbarek, son neveu, Mohamed Akhenchi, Amaai de son nom artistique, indique : «Il n’est pas seulement mon oncle, il est mon frère et père. Nous avons grandi ensemble». «Il était sérieux dans son travail et tranquille. Il avait un bagage dans sa vie artistique et familiale. Il essayait toujours de préserver le cercle familial. Il fait partie de moi en fait», enchaîne M. Amaai. Par rapport à d’autres chanteurs, le défunt avait, selon cet artiste, son «style». «C’est l’un des premiers à innover dans la chanson amazighe moderne avec des instruments modernes. C’est aussi l’un des premiers dans les années 70 à faire un départ avec un groupe appelé «Ousman». Après il a fait sa carrière. Aussi, son art est marqué par la simplicité qui porte un message en musique et paroles. C’est le premier à commencer par faire la musique amazighe moderne avec un groupe et le premier à introduire la musique amazighe dans un orchestre national avant de remporter le premier prix», enchaîne M. Amaai, qui n’est autre que le frère de l’artiste Hicham Massine. «Nous faisons partie de l’école d’Ammouri Mbarek», avance l’orateur qui précise que Hicham Massine accompagnait le défunt pour travailler ensemble. «Après quoi, Hicham a fait sa carrière à sa propre manière en innovant. Déjà, j’ai mes paroles. Je joue dans des soirées. Je suis toujours encouragé par mon entourage. Nous sommes une famille artistique. Pour une première fois, j’ai fait mes paroles pour une chanson avec Hicham qui prépare un album de cinq singles», détaille-t-il en rappelant préparer un autre single.

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