ALM : Vous avez enregistré un duo avec Karima Skalli. Comment est née cette initiative ?
Lotfi Bouchnak : C’est le compositeur et manager Mahmoud Lemseffer qui m’a soufflé l’idée. Lorsque j’ai rencontré Karima Skalli, j’ai été impressionné par sa voix. C’est ainsi que nous avons réfléchi sérieusement à ce duo. Nous avons enregistré ce duo qui a été édité par l’Institut du monde arabe à Paris. Lors de la présentation en avant-première de cet opus, nous avons été bien accueillis. Le succès était au rendez-vous. Nous avons voulu démontrer que l’art du «Tarab» existe toujours dans le monde arabe. A travers ce duo, nous avons voulu représenter l’union entre le Maghreb. Une union qu’il faut développer.
Vous en parlez comme un véritable défi. Vous y croyez ?
C’est un défi qu’on se doit de relever en tant qu’artistes. Les gens dans le monde arabe ont perdu l’habitude d’écouter ce genre de musique. Nous continuerons malgré cela à défendre le Tarab, la musique et les chants soufis. C’est une musique qui éduque les sens et qui fait partie de notre patrimoine arabo-islamique.
Que représente pour vous la musique soufie ?
Nous avons baigné dans cette musique depuis notre tendre enfance. Elle fait partie de nous. C’est tout à fait normal qu’on s’y intéresse. Nous avons pour mission de porter l’étendard de ce style musical qui est un genre en soi. Il nous appartient. Je pense que la moindre des choses, c’est de puiser dans ce registre.
Pourquoi, selon vous, ce style de musique ne possède pas beaucoup d’admirateurs ?
Les moyens de communication sont devenus de plus en plus nombreux. De ce fait, les belles créations ne courent plus les rues. Elles sont marginalisées au profit d’un style dont j’éviterais de donner un qualificatif. Les chaînes de télévision poussent comme des champignons et au lieu d’y diffuser des programmes musicaux de qualité pour développer l’ouïe et la culture des citoyens, on assiste à l’émergence de certains programmes de qualité médiocre.
A quoi est due selon vous l’émergence de cette forme de médiocrité ?
Je pense que c’est le résultat d’une politique culturelle. Je pense aussi que les pays se vantent d’être au diapason des nouvelles technologies de l’information et de la communication sans se donner les véritables moyens de s’adapter à cette forme de modernité. Ce n’est pas suffisant d’avoir les outils, il faut que la volonté suive. Il faut également définir le véritable rôle de l’artiste. Ce dernier n’a pas une mission de divertissement, c’est un personnage qui doit avoir un rôle actif dans la société. La première mission est celle de répandre les belles valeurs et de contribuer à l’enrichissement culturel universel.
Etes-vous contre les nouvelles tendances musicales, notamment ce qu’on appelle plus communément la fusion ?
Non, je ne suis pas contre. Je trouve qu’il faut encourager toutes les belles initiatives. Les jeunes d’aujourd’hui ont des idées plein la tête. Il faudrait juste qu’ils travaillent et qu’ils ne se contentent pas de la facilité. Le suivi du travail est tout aussi important. Il ne suffit pas de donner la possibilité aux jeunes d’éditer un album, il faudrait les encadrer et suivre leur travail.
L’essentiel, c’est d’inscrire ces initiatives sur le plan qualitatif dans la durée en les développant.
Comment se présente l’univers artistique en Tunisie ?
La Tunisie tout comme le Maroc se trouve actuellement dans un carrefour. Le ministère de la Culture a créé un fonds de soutien pour aider les jeunes musiciens à éditer des albums. Une seule condition est requise : citer le nom du ministère. Mais ce n’est pas suffisant, les jeunes doivent travailler davantage. On assiste à la naissance de groupes de rap, de fusion. Il y a des initiatives éparpillées. C’est une bonne chose. Mais l’important c’est que les créations soient basées sur du solide. C’est seulement de cette manière que les œuvres resteront gravées dans la mémoire de l’Histoire.
Quel est votre planning pour les prochains mois ?
Avant de parler de mes futurs concerts, j’aimerais préciser que je reviens tout juste du Japon où j’ai animé quatre galas de musique. J’ai chanté dans un contexte bien déterminé. Aujourd’hui,je prépare mon spectacle au Festival des musiques sacrées de Fès, par la suite j’ai la clôture du Festival de Carthage et de Hammamet en Tunisie, j’ai aussi une tournée au Caire, au Canada et en Amérique latine.