Culture

Boukous, patriote et amazighophone

© D.R

Il a désespéré des générations d’étudiants volages en arrivant toujours pile à l’heure à la classe où il donne ses cours à l’université de Rabat. La seule fois où il est venu en retard, il s’en est excusé en ces termes : “J’ai dû accompagner ma femme à la maternité pour son accouchement “. La rectitude morale et scientifique du professeur Ahmed Boukous est saluée unanimement par ses ex-étudiants. “Très méthodique“, “serviable“, “attentif“, “bourreau du travail“ sont les qualificatifs qui reviennent le plus souvent dans la bouche de celles et ceux qui l’ont eu comme prof. Les propos de l’intéressé ne démentent pas cette réputation. Né en 1946 à Lakhssasse, un village près de Tiznit, Ahmed Boukous a émigré à l’âge de deux ans en compagnie de sa famille à Agadir. Pourquoi ? “Le milieu d’où je suis issu est constitué de fqihs au msid. Par déclassement social, ils ont été contraints de quitter leur village pour se prolétariser à Agadir“, dit-il. Pas d’émotion, ni de trémolo dans sa réponse : le phénomène est expliqué très froidement par des motifs sociolinguistiques. Ce même caractère d’apparente insensibilité se retrouve dans la référence à un événement tragique : le tremblement de terre d’Agadir de 1960. « Comme tant d’autres, j’ai tout perdu. Les enfants ont été essaimés dans les écoles des grandes villes. J’ai fait partie du lot de Taroudant“. Cette façon de privilégier la froideur du discours scientifique sur l’émotion vaut quelques inimitiés à Ahmed Boukous, au sein de la communauté des militants amazighs. “C’est un chercheur d’une très grande qualité, mais ce n’est pas un activiste. Et il lui manquera à cet égard la flamme pour fédérer tous les militants autour de ses projets“, nous confie un activiste amazigh. Ahmed Boukous admet avoir renoncé à l’activisme en 1994. Il a décidé d’intervenir au niveau de la recherche et de la réflexion. “Il n’existe pas de dichotomie entre le militantisme activiste et le militantisme intellectuel. L’analyse va de pair avec l’action. Ce sont les deux faces nécessaires d’une même pièce“. Cela étant, l’intéressé rappelle qu’il ne s’est pas toujours contenté d’appareiller méthodologiquement l’action des autres. Il est membre fondateur de la première association culturelle amazighe en 1967. Membre fondateur également de l’association Université d’Agadir. Mais contrairement aux activistes amazighs extrémistes, il n’a jamais tenu de propos du genre “dehors les Arabes !“ Il a toujours inscrit sa lutte dans le projet d’une société marocaine multiculturelle, où l’amazighité a sa place au même titre que les autres langues. Pour ce projet de société marocaine, Ahmed Boukous a milité par la recherche. Il est le premier Marocain à avoir soutenu un doctorat de troisième cycle en linguistique sur la langue amazighe en 1974. Premier Marocain également à soutenir un doctorat d’Etat sur le même sujet en 1987. Auteur de plusieurs ouvrages dont “Langage et culture populaires au Maroc“ (1977), “Société, langues et cultures au Maroc“ (1995) ou “Dominance et différence“ (1999). Ce dernier livre avait créé une petite polémique à sa parution, parce qu’il montrait les échecs de l’arabisation. Fervent défenseur du tifinagh, Ahmed Boukous avait voté pour l’adoption de cette graphie le 31 janvier avec les membres du conseil d’administration de l’IRCAM. Il faut dire qu’il dirigeait également l’équipe qui a réalisé le dossier scientifique pour trancher entre les trois graphies en lice : arabe, latine et tifinaghe. Aujourd’hui qu’il est nommé à la tête de l’institut où il travaillait en tant que chercheur et membre du conseil d’administration, Ahmed Boukous dit vouloir inscrire son action dans la continuité du travail impulsé par son prédécesseur Mohamed Chafik, et dans le projet démocratique initié par S M le Roi Mohammed VI. Quant aux grands chantiers du moment, il a l’espoir et la détermination de standardiser l’enseignement de la langue amazighe, “selon des méthodes scientifiques“. À terme, cela devrait aboutir à une langue amazighe commune au Maroc. L’homme est conscient de la difficulté de la tâche, c’est pour cela qu’il en appelle à tous les chercheurs et militants. “L’IRCAM ne peut progresser que si les gens y mettent du leur pour l’intérêt de la patrie marocaine, et non pas de telle région ou faction de la société marocaine“.

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