ALM : Qu’est-ce qui vous a porté à l’écriture du roman policier ?
Abdelilah Hamdouchi : J’ai toujours rêvé d’écrire des polars. Mais je croyais qu’il est très difficile de le faire au Maroc parce qu’il y a une grande différence entre notre société et la réalité occidentale qui repose sur les valeurs de la démocratie, des droits de l’Homme et de la modernité. Je croyais qu’un roman policier était consubstantiel sans ces valeurs-là. Pour écrire un roman policier marocain, il m’a fallu commencer par les grandes interrogations sur la démocratie et les droits de l’Homme.
Pensez-vous que l’on peut parler aujourd’hui d’un roman policier marocain ?
Quand je parle du polar marocain, je parle de mon expérience d’écrivain. Qu’est-ce qu’un polar ? Dans mon avant-dernier roman, « La mouche blanche », je soulève un problème qui intéresse l’économie marocaine et touche directement à la vie des petits agriculteurs. Et dans mon dernier roman, « Le dernier enjeu », j’ai insisté sur la présence de l’avocat lors des interrogatoires effectués par la police judiciaire. J’ai traité ces sujets dans un style policier, avec une intrigue, du suspense et une enquête.
Le polar marocain n’intéresse pas de nombreux écrivains. Il n’en existe guère que trois : vous et Miloudi Hamdouchi en langue arabe et Jean-Pierre Koffel en langue française…
En réalité, un projet de roman policier populaire est indissociable de la généralisation de la lecture. Il ne fait pas de recettes par ses lecteurs. De ce fait, il nécessite sa sponsorisation par une institution publique ou une maison d’édition. Malheureusement, cette expérience au Maroc n’a pas réussi. Le polar, à l’instar des autres genres littéraires, traverse une grande crise : le très peu de lecteurs.
Cette crise décourage-t-elle l’écriture du polar ?
Oui, bien sûr. Le nombre des ventes des romans policiers n’encourage guère à écrire. Au final, le projet d’un genre noble est enterré, alors qu’il est encore nourrisson.
C’est la raison pour laquelle vous avez changé du cap, en passant de l’écriture du roman policier à celle des scénarios des téléfilms?
Pour sortir de cette impasse et communiquer avec les autres, j’ai décidé de transformer mes romans policiers en téléfilms.
Vous avez abandonné l’écriture du polar ?
En général, l’écrivain écrit pour être lu. Je suis un écrivain sans lecteurs. A la télé, les spectateurs consomment mes histoires. Il est normal que je m’y dévoue.
Vous reprendriez un jour l’écriture du polar ?
Oui, je renouerai avec le polar, lorsqu’il ne sera plus boudé par les lecteurs. En effet, l’écriture des scénarios est également une sorte de création. Il faut savoir que dans le monde 7 romans policiers sur 10 trouvent leur chemin vers le cinéma.
Quel changement avez-vous remarqué quand vos romans ont été portés à la télévision ?
Le téléfilm «La mouche blanche» a connu un grand succès quand il a été diffusé par la chaîne 2M. Les millions de téléspectateurs qui l’ont regardé ont commencé à s’interroger sur la nature des problèmes soulevés : sont-ils vrais ou faux ? J’ai remarqué une sorte d’admiration et de reconnaissance. J’ai remarqué la même chose quand la première chaîne de télévision marocaine a diffusé les deux téléfilms, « Restaurant de Sofia » et « Le dernier enjeu ».
Ces téléfilms peuvent-ils inciter les gens à chercher et lire vos romans ?
Non, parce qu’il semble qu’il y a une animosité contre le livre. Aussi bien la presse que les producteurs préfèrent le film au détriment de sa source littéraire. La presse n’a parlé que des téléfilms quand ils sont été diffusés sans recourir à sa source qui est le roman. La même chose pour les producteurs qui refusent de signaler dans le générique du téléfilm la source de l’histoire. C’est étrange ! J’avais au départ le sentiment que les téléfilms vont faire la propagande de mes romans. J’ai découvert que je rêvais.