Même l’AFP est sortie
de ses gonds. Elle définit dans sa première dépêche sur le sujet comme «une surprise», le fait que le jury, présidé par le Français Patrice Chéreau, décerne, dimanche 25 mai, la Palme d’or du 56e Festival de Cannes à «Elephant» «de l’Américain Gus Van Sant, oubliant totalement le cinéma français et le favori “Dogville” de Lars von Trier». L’AFP ajoute que le jury a enfreint le règlement en attribuant également «le Prix de la mise en scène à “Elephant”, un film inspiré par la violence des jeunes aux Etats-Unis, notamment la tuerie du lycée de Columbine».
Avec cinq films sur les vingt long-métrages candidats à la Palme d’or, le cinéma français était pourtant bien représenté. La dépêche de l’AFP cite même «les vétérans» comme André Téchiné, Bertrand Blier ou Claude Miller, avant de conclure amèrement : «aucun n’a trouvé grâce aux yeux du jury». Les auteurs de cette dépêche quittent même le langage de la rationalité pour évoquer des forces surnaturelles : «la malédiction du cinéma hexagonal, dont la dernière palme remonte à “Sous le soleil de Satan” de Maurice Pialat, il y a 16 ans, continue à peser.» La dépêche de l’AFP, mentionnant la surprise et la déception relative au film de Gus Van Sant, est tombée le lundi 26 mai 2003 à 11h 55. Trois minutes plus tard, une autre dépêche lui succède. Elle est esquissée dans des tons sombres. «Sinistrose chez les festivaliers et à l’écran», nous dit-elle dès la première phrase, avant de préciser que «le 56ème Festival de Cannes baisse le rideau sur une note sombre, et un millésime qui ne restera pas dans les mémoires».
Les journaux français emboîtent largement le pas à l’AFP dans leur appréciation de la dernière édition du festival de Cannes. Certains quotidiens en appellent même au feeling. C’est le cas du «Progrès de Lyon» où l’on lit : «Dès le début, on sentait qu’il y avait du coup de théâtre dans l’air.» D’autres en appellent à l’indignation. C’est le cas du «Figaro» : «Pourquoi donner à Elephant, de Gus van Sant, la palme d’or et le prix de la mise en scène, ce qui constitue la “violation du règlement” demandée par le jury à la direction du festival et annoncée au début de la proclamation du palmarès par Patrice Chéreau?» Le quotidien «Ouest-France» trouve, quant à lui, la parade en faisant un jeu de mots sur le poids du pachyderme américain qui a fait de l’ombre au cinéma français. «Un Elephant américain écrase le palmarès de Cannes au prix d’une violation revendiquée du règlement». Le quotidien «Libération» a choisi quant à lui une formule lapidaire : «Ce palmarès est aussi un camouflet pour le cinéma français».
Les autres prix n’ont pas non plus convaincu la presse française. L’Iranienne Samira Makhmalbaf a été récompensée par le prix des meilleures intentions pour son film «A cinq heures l’après-midi» tourné en Afghanistan. Ce film a été jugé par plusieurs journaux comme étant «opportuniste». Il a été primé plus pour le sujet qu’il aborde, «les femmes afghanes», que pour ses qualités artistiques. Samira Makhmalbaf est même qualifiée par le journal «Libération» de «machine à ramasser des médailles Unesco dans des festivals étrangers».