«Ô Marseille on dirait que flottent des drapeaux/ Qu’une voile impudique a fauché dans des voiles/ Et ces bateaux perdus qui croisent sous sa peau/ Se souviennent de toi dans la gorge des squales…». C’est avec ces sublimes paroles de Léo Ferré que nous avait accueilli «Nounours», ce mémorable 22 juin 2001 à l’aéroport Marseille-Provence. Ce sont ces belles paroles qui rythmeront notre équipée en autocar de cet aéroport à la Joliette, l’un des plus vieux et plus grands ports de France, où accostait le «Constanta».
Pendant cette équipée, qui dura moins de vingt minutes, ces paroles, entrecoupées de quelques gentillesses débitées par notre chauffeur, -un vrai marseillais, nous ont fait supporter le soleil qui brûlait l’autoroute, la touffeur d’une journée d’été très peu ordinaire. Les mystérieuses ruelles de Marseille, que « Nounours » empruntait, invitaient à remonter le temps pour redécouvrir l’histoire hellénique de cette cité phocéenne (Phocée, ville grecque), développée par les Romains (Massilia) comme comptoir commercial. En bon vivant, notre guide nous convia à débarquer dans l’un des restaurants mythiques de la Cannebière, pour découvrir également les cuisines de Marseille.
Là-bas, vous pouvez déguster un florilège de spécialités marseillaises : bouillabaisse, soupe de poisson, sardine grillée, coquillages, oursins, pâtisserie à la fleur d’oranger, barres de chocolat… J’aurais aimé descendre dans l’un de ces beaux restaurants du boulevard Saint-Jean, mais un autre repas nous attendait sur la Joliette. Nous y arrivâmes pile à 14 heures. Sur l’héliport du « Constanta », une cantine avait été improvisée. Autour d’une quinzaine de tables, des artistes, des écrivains, des journalistes, venus de différents horizons de la Méditerranée, avaient déjà pris place. Ahmed Massaïa, ex-directeur de l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (Isadac), était en disccussion avec Richard Martin quand je suis arrivé. « Bienvenue à bord, archer », me dit cet ami de Léo Ferré.
Ce fut ma première rencontre avec ce grand artiste, j’eus pourtant l’impression que je le connaissais de longue date. Il ne m’appelait plus que par « mon frère », tellement il était attachant. Avec les autres croisiéristes, le courant fit vite de passer. A bas, les barrières, de langue, de race, ou de religion. Les pacifistes, embarqués sur le destroyer, étaient unis sur un combat commun : mise à flot d’une espérance de paix. Main dans la main, ils embarquèrent dans une aventure unique en son genre : transformer cette machine de guerre, qu’est le « Constanta », en outil de paix.
Chacun, à son petit niveau, était appelé à apporter sa pierre à ce bel édifice de la paix, de quelque côté qu’il soit de la Méditerranée, ce lac de paix qui est devenu, au fil des guerres, un foyer de tensions fratricides. Navire de guerre, le «Constanta» fut surnommé «brise-bêtise». Il s’agissait non seulement d’apprivoiser cette «bête» de guerre, mais d’en faire également et surtout une tête de pont pour la reconquête de la paix. Faire d’un destroyer un outil de paix représentait un symbole très fort : s’il arrive trop souvent à des fous illuminés de détourner des avions civils pour en faire des bombes, les pacifistes s’étaient donné pour mission d’inverser cette formule suicidaire, en détournant une machine de guerre en outil de paix.