Culture

Carnet de voyage : Méditerranée : les vagues de la paix (22)

© D.R

Le spectacle « Poètes, vos papiers », texte de Léo Ferré dit par son ami Richard Martin dans le mythique Théâtre de Toursky, venait ainsi clôturer la cuvée 2001 des Rencontres théâtrales de Marseille. Une véritable orgie culturelle, ponctuée de très importants événements : il y eut d’abord cette mémorable représentation, sur le bateau-spectacle, de la pièce « Les Ulysses », jouée,  dans la fureur d’Eole, par la troupe de théâtre du Bulandra (Bucarest, Roumanie), puis du «Bar de la femme sans tête », de Brecht, de la musique ensuite avec des percussionnistes de Léda Atomica « SOS » en compagnie du batteur d’origine camerounaise, Bami et, à la fin, cet excellent Manifeste des Archers déclamé, dans les bourrasques du mistral (vent très fréquent à Marseille), par Armand Gatti.
Sa phrase « Les mots sont plus forts que les canons » me trotte toujours dans la tête plusieurs années après. L’image qui le montrait égrener, au gré du vent, les feuillets de son Manifeste du haut de la tourelle de vigie du « Constanta », est restée également gravée dans la mémoire. A 74 ans, ce grand poète anarchiste, ami de Mao, de Ché Guevara et de Jean-Vilar, semblait n’avoir rien perdu de sa verve révolutionnaire. Après avoir arpenté tous les fronts du XXème siècle, du Guatémala à l’Irlande du Nord, en passant par Cuba ou plus encore par l’Algérie, Armand Gatti, qui se définit à la fois comme poète et homme d’action, se mit du côté de ce qu’il appelait ses « loulous » : chômeurs, drogués, délinquants… Cette soirée, du 22 juin, fut d’autant plus émouvante qu’elle restera peut-être inoubliable. Le lendemain, le « Constanta » leva l’ancre.
Destination : Sagunto. Au port de cette ville, située au Sud de l’Espagne, une forte délégation se porta à notre accueil. Parmi nos hôtes, on pouvait remarquer le maire de l’ « ayuntamento » (mairie) de Sagunto, et José Monléon, président-fondateur de l’Institut international du théâtre méditerranéen, basé à Madrid. La fanfare municipale de Sagunto attendait la fin des battements de tambours exécutés par Bami et les cadets de la Marine roumaine, pour se déclencher. Saxophonistes, trompettistes et autres percussionnistes enchaînèrent avec un beau tourbillon musical, faisant danser une centaine de spectateurs qui attendaient, à quai, notre descente du « Constanta ». Richard Martin fut le premier à descendre l’escalier à rampe de fer, son vieil ami J. Monléon  le gratifia d’une chaleureuse accolade. Passé ce moment, ce fut au tour de nos hôtes espagnols de monter à bord du «Constanta ». Sur l’héliport, une conférence de presse était prévue.
A la tribune, Richard Martin, entouré de Catalina Buzoianu (metteur en scène roumaine), donna le ton. Des journalistes espagnols, accourus sur le « Constanta », reçurent plusieurs explications sur le projet. « Pourquoi ne pas affréter, l’an prochain, un avion pour faire la promotion de la paix ? », demanda un journaliste. « Il était hors de question », me chuchota Richard Martin. Pas un hasard, en effet, si l’IITM  dut emprunter un navire de guerre. Si paradoxal que cela put paraître, l’idée était fort symbolique. « Si d’aucuns détournent des avions pour en faire des bombes, tuant des centaines de civils innocents, il s’agit pour nous de détourner un navire de guerre pour en faire un instrument de paix», expliqua Richard Martin. Fini la conférence, les pacifistes, avec les marins roumains coiffés par le capitaine Boruzi, étaient invités à un grand banquet dans la mairie de Sagunto.
Là-bas, ils seront également avec quelques éléments de la fanfare municipale. Une véritable partie de danse s’ensuivit, avant que les invités ne fussent priés de se mettre à table. Dans l’après-midi, retour sur l’héliport du Constanta où une conférence-débat devait se dérouler sous le thème « Guerre et paix, en Méditerranée ». Le soir, après une pause-dîner, les pacifistes avaient rendez-vous avec des récitals de poésie, un concert de musique et un spectacle de danse.
Le lendemain matin, une visite guidée sur les sites historiques de Sagunto était prévue. Située dans la partie nord de la province de Valence, au pied d’une colline appartenant à la Sierra Calderona, Sagunt (appelée Sagunto dans le castillan) est une ville qui offre une histoire de 2.000 ans. Elle recèle nombre de bijoux historiques dont l’architecture porte encore les traces de plusieurs civilisations : arabe, romaine, juive, chrétienne… Parmi les monuments visités, on compte le prestigieux Théâtre romain.
A notre arrivée, nous l’avions trouvé complètement requinqué. Simplement, -nous raconta notre guide-, ce Théâtre, dont la construction remonterait au premier siècle, n’aurait pas été restauré de manière à préserver son cachet originel. Ce qui aurait porté plusieurs acteurs de la société civile espagnole à porter l’affaire devant la justice, l’objectif étant de réhabiliter ce monument inscrit en 1896 sur la liste du patrimoine national espagnol. Preuve vivante du règne arabo-musulman sur cette région de l’Espagne, l’époustouflante «Plaza de Almenara ». Appelée jadis « Saluquia » par les Arabes, cette place témoigne encore et toujours du prestige de notre architecture sur l’Espagne.  Sur la crête de la Sierra Calderona, un panorama magnifique des vergers locaux venait flatter le regard.
Sagunto fut notre première escale dans le pays de Cervantes. La suite des escales, -il y en aura d’autres-, n’en sera pas moins fascinante. Le 25 juin, à la pointe du jour, le « Constanta » se dirigea vers la province de Valence. Le trajet Sagunto-Valence fut si bref, autant que le fut l’accueil. Mais contrairement à Sagunto, les pacifistes furent hébergés dans un hôtel de luxe, baptisé du nom de la ville où il fut construit.
Situé dans le boulevard principal de Valence, cet hôtel offrait un panorama des mythiques monuments du Sud de l’Espagne: Eglise San Juan del Hospital, palais Almirantes de Aragon… Valence se décline également sur d’autres tons, culture, sport, et bien entendu tourisme. Plaque tournante du commerce de la région, le Bario del Carmen concentre magasins, cafés-théâtre, bars, restaurants… Seule ombre au tableau, le fleuve Turia, qui traversait Valence, fut dévié vers l’extérieur de la ville, après l’inondation catastrophique de 1957.

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