Que faut-il retenir de l’escale de Hammamat et Carthage ? Le luxe de «Marina Palace» ? Les délices de la cuisine tunisienne ? Le goût un peu relevé de «l’hrissa» ? Le sourire très intéressé des bazaristes de Sidi Bousaïd ? La brise des palmiers et la magie de Carthage ? Si les passagers du «Constanta» avaient été unanimes à saluer l’enthousiasme avec lequel ils furent accueillis en Tunisie, ils n’ont généralement pas beaucoup apprécié l’étape tunisienne. Ceci était dû moins aux organisateurs, -qui firent preuve d’un excellent sens de l’hospitalité-, qu’à la nature d’une escale destinée plutôt aux touristes. Les pacifistes regrettèrent de n’avoir eu à voir que la façade touristique de la Tunisie, sachant bien que leur objectif était d’aller à la rencontre des simples citoyens. «J’ai eu l’impression d’être un touriste, un client, pas un militant de la paix», déplora mon ami espagnol, Emilio Garrido. Comme M.Garrido, les pacifistes avaient la certitude que beaucoup de Tunisiens n’avaient pas les mêmes chances que les cossus de Hammamat. Si «superficielle» que l’escale tunisienne pût paraître, force est de signaler qu’elle nous permit de découvrir la Tunisie profonde, notamment à travers ses trésors historiques.
Je pense particulièrement à Carthage. Fondée en 814 autour de la citadelle de Byrsa et, selon Virgile, par la reine Didon, Kart Hadasht, qui veut dire «la nouvelle ville», fut au centre de tous les intérêts. Sa beauté inégalée fit d’elle un objet de convoitise, sa position stratégique la mit à la croisée des trafics, de marchandises mais aussi et surtout d’idées, ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle devint sous César un point de rayonnement intellectuel et religieux de l’Afrique romaine. Voilà pourquoi Carthage, à l’instar de Bagdad, fut envahie et saccagée à plusieurs reprises.
A l’image d’un phœnix, elle renaît à chaque fois de ses propres cendres. Contrairement à ce que certains croyaient, Hammamat, et encore moins Carthage, ne sauraient être réduites à de simples villes touristiques. L’escale tunisienne fut d’autant plus intéressante qu’elle nous permit justement d’entrer dans le secret historique d’un pays de grande tradition culturelle. Voilà ce que, du moins, on a gagné de notre débarquement en Tunisie. Pour le reste, nous avions rendez-vous avec une autre belle aventure.
Le 1er juillet 2005, le «Constanta» quitta le port «Yasmina-Hammamat». Destination : Tripoli. «De quoi sera faite l’escale libyenne?». Tout le monde se posait la question, non sans inquiétude. «Nous irons dans un pays sous embargo international», fit constater Richard Martin, lors d’une réunion provoquée à la veille de notre débarquement. La crainte était de mise sur le «Constanta». Mais, contre toute attente, l’escale libyenne sera la plus forte. Un accueil des plus chaleureux nous était réservé par les autorités de Tripoli. Alors que le «Constanta» mouillait vers le port de la capitale libyenne, trois vedettes, entourées de plusieurs petites embarcations de pêche, étaient venues nous recevoir à grands coups de klaxon, de cris… A quai, une impressionnante foule, rehaussée par la présence de ministres et de représentants de différents corps de l’armée, nous attendait. A l’arrivée, les artificiers du «Constanta» déclenchèrent un beau de spectacle de feu. Richard Martin, perché sur la tourelle du «Constanta», proclama un discours dans lequel il exprime, au nom des pacifistes, « notre solidarité avec le peuple libyen en proie à un embargo international injuste et d’une cruauté sans faille ». Cette marque de solidarité n’a pas laissé indifférent, les Libyens, civils et autorités, visiblement émus, gratifièrent Richard Martin d’une salve d’applaudissements, avant d’inviter les passagers du «Constanta» à une grande réception dans la salle d’honneur du port de Tripoli. Entre-temps, la musique fonctionnait à plein régime. Les pacifistes se fondront dans la foule pour apprécier un florilège de belles pages de la musique populaire libyenne. On chante, on s’esbaudit, on échange des adresses, on pose en photo… On comprit à quel point les Libyens, civils et autorités, tenaient à notre escale, ils voulaient montrer aux pacifistes, ambassadeurs de la Méditerranée, à quel point ils étaient acquis à la paix, faisant un pied de nez aux Etats-Unis qui ne « veulent voir en nous que des terroristes », déplore un civil. Après le débarquement, l’accueil et tout, des mini-bus étaient venus chercher les passagers. Au Grand-Hôtel, situé à proximité du port de Tripoli, la fête allait se poursuivre.