Dans le décor, un bataillon de serveurs formant une chaîne autour d’un gros buffet. Sur une estrade aménagée pour la circonstance, des musiciens faisaient les balances. Le son des violons et autres luths tranchait avec le chahut des pacifistes qui faisaient des potins sur le fonctionnement de la vie politique en Libye, le rôle des Congrès populaires et des Comités révolutionnaires, le rôle africain du régime du colonel Mouammar Kadhafi, les effets de l’embargo international sur le peuple libyen… La discussion eut dérapé complètement vers le politique, sans que cela ait fait sourciller les Libyens présents.
«En Libye, contrairement à ce que les Etats-Unis veulent faire croire, il n’y a pas de restriction de la liberté d’expression», renchérit un conseiller du ministre de la Culture libyen. «Achaâb y hadra b’kol horya», martela-t-il, d’un ton plutôt populiste. En vérité, le semblant de démocratie que nos amis libyens voulaient nous servir sur un plat d’argent ne devait engager que ceux qui voulaient bien y croire. Les pacifistes, en tout cas leur majorité, ne devaient pas se faire d’illusion. Nous fûmes en plein dictature.
Le régime de Kadhafi pariait sur un anti-américanisme primaire pour entretenir ses jours. Il eut une intelligence diabolique de cultiver chez le peuple libyen un sentiment de haine à l’égard des Yankees, présentés, comme l’avait fait l’ayatollah Khomeini, comme le «Grand Satan».
L’ex-président Clinton avait d’ailleurs fait l’unanimité du peuple libyen contre son pays, en décidant de bombarder Tripoli et Benghazi. Les traces de ce bombardement étaient encore visibles sur les façades de la résidence de Mouammar Kadhafi. Les pacifistes eurent l’occasion de le constater sur place, au lendemain de leur débarquement à Tripoli. Le 3 juillet 2003, à la première heure, des mini-bus étaient venus chercher les pacifistes au Grand-Hôtel, pour une visite guidée dans la résidence du président Kadhafi.
A l’entrée, des chars, des jeeps bardées de mitraillettes et des militaires se tenant sur un pied ferme… La Libye était quasiment en guerre. Un symbole fut touché par les tomahawks de l’armée américaine : la résidence de Kadhafi. Sur les quelques façades qui tenaient debout, des écriteaux commémorant «la lâche offensive de l’ennemi» s’offrirent à nos yeux.
A l’intérieur, un décor apocalyptique agressa le regard. «Le salaud de missile a atteint jusqu’à la chambre à coucher de la résidence, heureusement que le président était ailleurs», s’exclama notre guide. Le président Kadhafi ne fut pas le seul rescapé, la chamelle qui lui offrait le lait l’avait également échappé belle. Au moment de notre visite, elle avait quartier libre. La tente caïdale qui servit de lieu de travail au président Kadhafi était également restée intacte. Le décor entier, transformé en musée, devait servir de lieu de mémoire, le peuple, et moins encore le régime, n’était pas près d’oublier.
«Nous avons veillé à n’y rien toucher, ce lieu devrait témoigner pour les générations futures de la sauvagerie, voire de la barbarie, des Américains», expliqua notre guide. Changement de décor. Destination : le Théâtre national de Tripoli. Les pacifistes avaient rendez-vous avec une représentation théâtrale. Là-bas, nous avions pu rencontrer une pléiade de comédiens, metteurs en scène et dramaturges libyens. Seulement voilà, les artistes que nous avions rencontrés étaient inféodés au régime. La liberté de ton, l’autonomie d’esprit et de pensée n’avaient d’ailleurs pas lieu d’être sous un régime qui gouvernait le pays d’une poigne de fer. Mais passons, dans l’après-midi, les pacifistes devaient quitter Tripoli pour Sabrata, un site romain d’une extrême beauté, qui offrait une vue magnifique sur la Méditerranée.














