Culture

Carte Sihati : une supercherie au nom de l’INDH

© D.R

Sise au Technopark de Casablanca, la société dénommée "Sihati", dont le directeur général s’appelle Mokhtar Bahbaz, a mis, depuis près de deux ans, sur le marché national une carte de soins du même nom promettant à son possesseur de multiples avantages. À en croire ce qui est écrit dans les formulaires d’adhésion au réseau Sihati, le titulaire de la "Carte Sihati" a le droit de bénéficier, lui et ses ayant droit, en l’occurrence sa femme et ses enfants âgés de moins de 16 ans, d’une réduction de 30% pour les consultations et les soins médicaux ainsi qu’une réduction de 10% sur l’achat des médicaments en pharmacie. "La «carte Sihati» est une véritable révolution dans le domaine de la santé au Maroc, explique Saïd Massak, directeur adjoint et d’exploitation de ladite société.
Elle n’est ni carte de crédit ni carte bancaire. C’est un support multifonctions qui permet au médecin d’identifier l’adhérent et ses ayants droit grâce à un logiciel de liaison défini pour cette tâche et de créer ainsi une feuille de soins électronique qui est directement adressée au centre de traitement Sihati. Le prix du logiciel est de l’ordre de 12 000 dh". Sur les avantages supposés de sa carte, cet homme est intarissable. 
"Elle permet également aux acquéreurs de la carte d’accéder à un réseau médical couvrant toutes les spécialités confondues à l’échelon national et de bénéficier éventuellement d’une subvention sur les médicaments ainsi que d’une réduction sur les tarifications des soins médicaux en vigueur". Une carte magique !
Et d’ajouter : "Le malade choisit librement son médecin, qui fait partie de notre réseau. Et c’est au médecin de décider d’accorder ou non au patient une telle réduction." L’application effective de la réduction est donc non garantie. En tout cas, une armada de commerciaux, nous dit-on, sillonnent les différentes villes du Royaume dont Casablanca, Rabat, Salé, Témara, Mohammédia, Berrechid et distribuent des brochures vantant les "mérites" de cette carte. Selon des médecins, "près de 500 000 cartes ont été écoulées sur le marché, soit des millions de dirhams amassés." Mais les promoteurs de l’affaire avouent "seulement 15 000 cartes distribuées dont 90% sont gratuites".
"Notre activité n’est pas lucrative. C’est un projet à caractère social à travers lequel nous souhaitons apporter notre contribution à l’Initiative nationale du développement humain, tient à souligner M.Massak, l’air très sérieux. Il faut noter que nous avons des conventions avec plusieurs ministères dont le ministère des Habous, de la Santé, de l’Habitat et de l’Enseignement." Mais que vient faire l’INDH dans cette histoire très peu claire ? 
À la question de savoir si la société a avisé les autorités concernées, il répond : "Nous avons adressé des lettres au président du Conseil de l’ordre national des médecins, au ministère de la Justice, au directeur de la  mutuelle Fraternelle de la sûreté nationale et à bien d’autres. Toutefois, nous n’avons pas reçu de réponse de leur part“. Et de conclure le plus naturellement du monde : “ En vertu de la loi, nous sommes en droit de considérer que les destinataires de notre correspondance sont consentants passé un délai de 60 jours“. En fait, les autorités auraient dû se manifester autrement !
"Contacté par ALM, Abdelouahed Ambari, président du Conseil régional de l’Ordre des médecins à Casablanca, souligne que "cette activité est illégale. Nous n’avons délivré aucune autorisation à cette entreprise. Selon les réglementations en vigueur, toute convention dans le domaine de la santé doit être conclue en concertation avec tous les médecins nationaux et doit être obligatoirement signée par le président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Nous n’avons jamais contracté aucun accord avec cette société. Il s’agit d’une grande arnaque dont sont victimes les citoyens et les médecins."
Par ailleurs, une longue liste circule sur laquelle sont inscrits les noms et adresses des médecins, des cliniques et des laboratoires supposés partenaires de ladite société. Il s’agit environ d’une centaine de médecins généralistes, spécialistes dans les différentes disciplines médicales à savoir chirurgiens-dentistes, diabétologues, gynécologues, ophtalmologues et cardiologues. Dans l’axe Rabat-Salé-Témara, on compte autres 6 orthodontistes, 4 cardiologues et 5 laboratoires.
Certains médecins ont expliqué dans des lettres adressées au Conseil régional de l’Ordre des médecins avoir fait l’objet "d’une escroquerie", d’autres dénoncent les agissements de la société Sihati et affirment ne jamais avoir signé de conventions ou d’accords dans ce sens.
"En décembre 2005, un représentant de la société Sihati est venu me voir pour me présenter leur produit, confie une jeune ophtalmologue.  Je suis nouvelle dans la profession. Je venais d’ouvrir mon cabinet.
L’idée de faire partie d’un réseau de spécialistes m’a tentée. Il m’a expliqué qu’ils ont déjà informé le Conseil de l’ordre, le ministère de tutelle et toutes les autorités concernées. J’ai tout de suite accepté puisqu’il ne s’agissait pas visiblement d’une activité illégale. Il m’a assurée qu’il s’agit d’un projet social pour encourager les petites gens à recourir à la médecine. J’étais d’accord pour une remise de 30% sur  mes honoraires. J’ai signé un accord d’adhésion avec la société. Il m’a alors proposé un logiciel de gestion pour la carte contre une somme de 3000 dirhams. Après avoir réalisé qu’il s’agit d’une affaire louche, j’ai tout abandonné.“

"Circuit Plus"  devient “Sihati“
Selon l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale relevant du ministère de l’Industrie, du commerce et de l’Artisanat, la société dénommée "Sihati" n’est pas inscrite au registre central du commerce. La société "Sihati" serait donc fictive mais opèrant depuis deux ans au vu et au su de tout le monde. Dans tous les cas, "Sihati" est, selon le même organisme, une marque commerciale déposée dont le détenteur ou le déposant est la société "Circuit Plus" et le mandataire est Mokhtar Bahbaz.
Cette même société, qui a déclaré bizarrement faillite en 2003, avait auparavant, plus précisément en 2002, mis sur le marché une carte à puce appelée "Carte Pass Vitale Santé". La société “Circuit Plus“ a choisi de s’appuyer sur l’informatique et l’utilisation d’une carte à puce, la carte “Pass Vitale“ pour soi-disant faire évoluer le système de santé national : accélérer les remboursements, améliorer la qualité des soins et réguler les dépenses par l’émission des cartes de crédit revolving rechargeables, conventionnées avec les professionnels de la santé, les pharmacies, les compagnies d’assurances et les organismes de crédit", lit-on sur la brochure. Il ne manque plus que cette carte extraordinaire soit utilisée dans les guichets automatiques pour tirer de l’argent pour que la boucle soit bouclée! Plusieurs médecins, croyant que l’opération est sérieuse, sont tombés dans le piège.
Abderrazak Achâab, chirurgien-dentiste, fait partie du lot. (voir encadré). "En janvier 2002, j’ai reçu un courrier de la société Circuit Plus dans lequel elle nous demande de participer dans son projet "Carte Pass vitale santé". Il s’agit selon ses promoteurs d’une carte de crédit chargée d’une réserve d’argent qui vise à faciliter le paiement des honoraires des médecins", indique M.Ambari. "Et je leur ai répondu que les règles de la profession médicale en particulier le code de déontologie stipule d’une manière claire dans son article 5 : les principes ci-après énoncés, qui sont ceux de la médecine traditionnelle, s’imposent à tout médecin.
Ces principes sont le libre choix du médecin, la liberté des prescriptions du médecin, l’entente directe entre le malade et le médecin en matière d’honoraires, le paiement direct des honoraires par le malade au médecin. Par conséquent, votre projet qui consiste à être un intermédiaire en matière de paiement des honoraires de médecins ne peut de ce fait recevoir notre aval." Le conseil a-t-il l’intention de poursuivre en justice ladite société ?  M. Ambari rétorque qu’"il n’est pas habilité à ester en justice“. “Seul le président du Conseil national de l’Ordre des médecins est habilité à le faire, ajoute-t-il.
Toutefois, il peut déléguer cette prérogative à l’un des présidents des conseils régionaux." Résultat : en l’absence d’une action judiciaire, “Circuit Plus“ a sévi pendant une année ( 2002-2003) avant de réapparaître sous l’enseigne “Sihati“ en 2004  . "Il est vrai que les activités de la société Sihati sont illégales. Toutefois, nous ne pouvons pas saisir la justice puisqu’on n’a pas reçu de plaintes de la part des citoyens et des médecins. La lettre qui nous est parvenue de la société Sihati est une lettre d’information et non une demande d’autorisation, indique un responsable au sein du Conseil national sous couvert de l’anonymat . C’est pourquoi nous ne lui avons pas répondu.
Le Conseil national ne peut s’autosaisir que dans la mesure où il dispose de preuves que les agissements de la société sont destinés à arnaquer les médecins“.   Par ailleurs, le Syndicat national des médecins du secteur libéral est en train d’entreprendre les démarches nécessaires pour porter plainte contre la société "Circuit Plus" et son directeur général Mokhtar Bahbaz. Celui-ci est introuvable. Impossible de le joindre.  Peut-être qu’il est en train de plancher sur une autre carte au profit des gens démunis !   

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