Rencontré au 15ème Festival de Fès de la culture soufie, son président, Faouzi Skali, également anthropologue, révèle les particularités de cette édition qui se poursuit jusqu’au 29 octobre. L’occasion pour le président qui qualifie le soufisme de matrice civilisationnelle de ressortir l’apport de cette grande manifestation à cette ville spirituelle. Le tout en s’exprimant sur l’intérêt de cette culture pour la société y compris la jeunesse.
ALM : Quelle serait la nouveauté de cette 15ème édition du Festival de Fès de la culture soufie ?
Faouzi Skali : La nouveauté qui est assez exceptionnelle c’est le fait qu’il y a une espèce d’engouement, d’ouverture de plus en plus grande par rapport à ce concept de la culture soufie. On commence à comprendre tout ce que ce terme revêt en termes de patrimoine, de richesse, de capacité, de ressource créative, pas simplement d’une sorte d’archéologie du passé, mais plutôt d’une énergie revitalisante par rapport au fait de faire revivre tous ces espaces merveilleux de Fès, ses medersas, ses lieux de rencontre, son jardin botanique à travers la culture, à travers le souffle, ainsi que l’esprit de la culture. Je crois qu’à partir de ce moment-là il y a quelque chose de magique qui se produit, une espèce d’alchimie. Les soufis parlent plus souvent de l’alchimie du bonheur. A la fois c’est le bonheur d’une alchimie qui fait que quelque chose fonctionne entre l’âme de cette ville et cette culture vivante. Alors il est vrai que c’est un festival qui nous tire vers l’avant et vers le haut probablement aussi parce que les ressources sont tellement grandes qu’on n’essaie pas au contraire de maîtriser avec une propre ressource tout en essayant de ne pas être dépassé, mais chaque fois c’est plus grand que ce qu’on attendait en termes aussi de programmation. Il y a une très grande diversité et une très grande richesse. Puis aussi le fil conducteur sans doute de cette année «Science et conscience» qui est intellectuel mais qui est aussi au cœur de nos réflexions sociétales d’aujourd’hui à l’échelle mondiale. En d’autres termes, qu’est-ce que c’est qu’une science sans conscience ?! Rabelais avait déjà répondu à cette question : C’est une ruine de l’âme. Qu’est-ce que c’est qu’une spiritualité sans science ?! C’est peut-être quelque chose qui semble aussi de grande puissance, d’action et d’influence. Et je crois que la confluence entre ces deux mers si je puis dire, entre ces deux dimensions, peut être un fil conducteur intéressant pour conduire à la fois les réflexions des tables rondes et les déclinaisons des moments artistiques. Evidemment, comme chaque année, nous avons ce grand rendez-vous avec les grandes confréries spirituelles du Maroc et du monde entier.
En parlant de confréries, comment votre festival contribue-t-il à leur promotion ?
L’idée c’est de faire sortir cette culture du soufisme en dehors de ses cadres habituels. Dans certains cadres, c’est connu et reconnu, mais cela reste bien précis. Or ce qui est intéressant c’est d’apporter cette culture dans l’agora, dans le débat public, dans la découverte de toute cette richesse à la fois intellectuelle, voire artistique auprès de tout le monde. Parce que c’est cela qui existait avant. Nous avions évidemment ces lieux de grande expérience et de transmission du soufisme pour ceux qui sont initiés, pour ceux qui sont dans une recherche, quête personnelle là-dessus, mais il y avait un bouillon de culture soufie par ses valeurs, sa sagesse, son art de vivre et plein de choses. Or aujourd’hui, ces moyens habituels de la transmission sont pour beaucoup d’entre eux coupés. Donc il faut redécouvrir un autre langage et d’autres moyens. D’où l’idée de la culture soufie et non pas simplement du soufisme. On ne peut pas faire un festival de soufisme et retrouver simplement les gens qui s’intéressent directement à cette question. Mais le soufisme dépasse les soufis eux-mêmes parce que c’est, à mon avis en tant qu’anthropologue, une matrice civilisationnelle.
Et les jeunes dans tout cela?
C’est ce que nous faisons par exemple dans le centre des étoiles à Fès où nous recevons non seulement des jeunes mais aussi souvent ceux d’un milieu défavorisé qui n’ont pas déjà, d’un point de vue classique, eu toujours le privilège d’être dans des canaux de transmission déjà classiques. Et donc il y a un travail formidable qui a été fait par exemple par les organisateurs de ce centre, notamment Mahi Binebine et Nabil Ayouch. Donc la réunification déjà patrimoniale de ce lieu était d’un seul coup cette connexion avec la culture soufie. C’est vraiment un processus d’acculturation. Ce mot signifie la mise en culture et non la privatisation parce que ce n’est pas la déculturation. Donc c’est un travail concret. Il y a une irrigation. Le fait que cela se passe ici puisqu’il y a des ateliers et ainsi de suite. Il faut aller toujours plus loin. Et le festival n’est qu’un moment de ré-impulsion d’un travail qui est quotidien. Un travail pédagogique, il y a des master class, une arborescence qui se fait toute l’année, mais le festival est un moment où cette énergie est recréée à nouveau, avec une grande impulsion et pour qu’on prenne conscience. Ceci est aussi un processus d’élévation de la conscience pour qu’on prenne d’un seul coup conscience de la richesse de cette culture et de tout ce qu’elle peut nous apporter.