ALM : Votre tandem avec Moulay Hafid Elalamy est vu dans les milieux du patronat comme une option pour le changement. Qu’allez-vous apporter à la CGEM ?
Mohamed Chaïbi : C’est un changement en soi en cela que c’est désormais un tandem qui dirige et non une seule personne. Ce changement a été entériné il y a deux ou trois ans et découle justement de la volonté d’éviter la personnalisation de la CGEM. Il nous paraît important aujourd’hui de recadrer notre confédération dans sa mission fondamentale qui est de défendre –becs et ongles s’il le faut- les intérêts de ses membres. A chacun son rôle. Les syndicats et les partis politiques ont le leur. La CGEM a aussi le sien. Il faut aussi réhabiliter le concept d’accumulation de richesses dans le sens qu’il n’y a pas de création de richesses sans profits éthiquement réalisés. Il ne peut y avoir d’entreprise sans engagement citoyen, sans paiement des impôts et sans respect des règles en vigueur. La CGEM doit accroître sa crédibilité.
Le fait qu’il n’y ait qu’un seul candidat n’illustre-t-il pas le désintérêt de la communauté des affaires par rapport à l’organisation patronale ?
J’espère que non. Nous sommes aussi bien Moulay Hafid Elalamy que moi, des hommes pratiques. Déjà au niveau des soutiens que nous avons reçus (NDLR : en vertu des nouvelles dispositions de la CGEM, chaque candidat doit recueillir au minimum 100 signatures) 240 signatures. Ce qui représente 60% en termes de voix de la CGEM. Ce score a été réalisé en un temps record.
Pour éviter le désintérêt que pourrait susciter l’élection d’une liste unique et aussi pour expliquer notre vision, nous avons entrepris d’aller à la rencontre de l’ensemble des fédérations membres et de sillonner toutes les régions du Royaume.
Cette tournée nationale prendra fin le 28 juin à Laâyoune. Dans chaque région, nous venons écouter les attentes et les propositions. Nous ne venons pas avec un programme préétabli.
Quel discours tiendrez-vous à certaines fédérations comme celle de la PME-PMI, tentées désormais par l’externalisation ?
Nous avons déjà eu ce débat avec quelques fédérations. Ce qui est important c’est d’initier des actions pour arriver à un résultat. On n’a pas d’état d’âme par rapport à l’internationalisation ou à l’externalisation.
Nous ne contrecarrons pas cette dernière tendance. Au contraire, si les problèmes peuvent être résolus au niveau des Fédérations, pourquoi pas ? Nous souhaitons que les régions prennent leur destin en main.
Notre rôle c’est de fédérer nos membres autour des thèmes transversaux comme la fiscalité, la réforme de la justice, l’administration. Les synergies sont nécessaires.
C’est pourquoi la CGEM a créé des commissions. Donc pas de CGEM centralisée ?
Nous ne voulons pas d’une CGEM centralisatrice mais fédératrice, efficace et qui prend les compétences là où elles se trouvent.
Nous voulons une CGEM anticipatrice, dotée d’une vision, qui apaise les relations entre partenaires qui recherchent de bons canaux de dialogue et des réseaux de capillarité avec les syndicats, l’Etat et les différents partenaires.
Une confédération qui prend des initiatives sur la base d’études bien documentées.
D’aucuns reprochent justement à la CGEM de ne pas jouer assez son rôle de force de proposition par rapport à l’administration ?
Je prends l’exemple du plan Emergence. Bien que l’idée initiale soit venue de la CGEM, ce n’est pas celle-ci qui l’a proposé. Cela aurait été formidable que le patronat, sur la base de son expérience et de ses prospections propres présente ce rapport sous forme de propositions.
Libre ensuite au gouvernement de l’adopter ou de le modifier. La mouture première-je le maintiens- aurait pu partir de chez nous. D’ailleurs, tout au long de notre tournée, il y a une requête qui est revenue souvent. Nos membres souhaitent voir notre présence renforcée et avec un surcroît d’efficacité au niveau des instance où sont élaborées les lois.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’économie marocaine et quelles sont les réformes que vous jugez urgentes pour une bonne relance ?
La CGEM est l’émanation des créateurs de richesse. Il faut en finir avec l’idée que le profit est une tare.
C’est la source de tout ce qui irrigue l’économie en impôts et en apports divers. Aujourd’hui le Maroc est sur une bonne conjoncture. L’attractivité du pays est visible. Les étrangers l’ont compris. On commence à voir affluer des investissements dans des domaines aussi différents que le tourisme, l’immobilier et même des secteurs traditionnels comme le textile. Il y a aussi un mouvement d’ensemble dans la réalisation des infrastructures (chemins de fer, routes, hôtels, Plan Azur). Il s’agit là d’éléments d’amélioration de la compétitivité en termes de logistique. Ce sont des éléments tangibles. C’est le moment d’investir. Il y a d’ailleurs une forte tendance à l’investissement. Un retour à la confiance qu’atteste l’entrée de certaines structures en Bourse, et l’investissement dans la mise à niveau. Quelques grands groupes marocains jouent le rôle de locomotive, d’autres suivront.
Cette stratégie de locomotive et de champions nationaux engagée depuis quelques années vous paraît-elle pérenne ? Ne fausse-t-elle pas la concurrence sur le plan national ?
Aujourd’hui, la concurrence n’est pas uniquement nationale. Certains marchés fermés jusque-là comme la Chine sont devenus mondiaux. Ce qui compte pour nous Marocains, c’est d’avoir des ressorts pour rebondir.
Le fait que les accords bilatéraux comme les ALE soient signés avec certains pays et régions du monde est une bonne opportunité pour l’économie nationale.
Toute entreprise marocaine, PME ou pas, aspire à être un leader national, régional puis mondial. Concernant le phénomène de concentration, c’est une vue d’esprit de croire qu’il déséquilibre le marché en faussant la concurrence. Il est démontré que les grands groupes ont toujours fait travailler les petites entreprises. Pour prendre le cas des secteurs du ciment et matériaux de construction que je connais bien, les grands groupes externalisent certaines tâches comme la maintenance, l’exploitation des carrières et le transport. Tout cela va à la petite entreprise. La grande entreprise n’est pas exclusive de la PME. Au contraire, l’une ne peut évoluer sans l’autre. Les grands vaisseaux amiraux ne peuvent évoluer en mer sans être accompagnés d’une flottille spécialisée dans divers domaines. Ainsi va le monde des affaires. Nous avons une vision de la solidarité des grands groupes par rapport aux petits.
Cela doit se traduire par des appuis concrets en terme de mise à niveau, de la normalisation et de la labellisation, etc…
Quelles sont donc les attentes du patronat marocain ?
Nous avons perçu durant les tournées régionales trois niveaux d’attente. D’abord celles par rapport à la CGEM. Là, on sent un besoin de proximité, de décentralisation et de partage.
Les régions se sentent isolées. Des fédérations se sentent mal soutenues par le centre. L’on sent donc ce besoin de proximité. Au niveau national, c’est la législation du travail, la demande d’une fiscalité plus équitable, mieux répartie qui prévaut.
La simplification des procédures administratives et le rôle de la justice dans le traitement des litiges font partie des doléances. Il y a des attentes également au niveau de l’incitation à l’investissement.
A l’international, beaucoup de petites entreprises de la région mais aussi du centre voudraient voir des instruments mis en place pour affronter la mondialisation, aller à la conquête des marchés. Il y a une demande forte pour que la CGEM s’implique et joue pleinement son rôle pour l’accompagnement à la conquête de nouvelles niches.
Il est demandé à ce que le gouvernement prenne des mesures globales pour renforcer la compétitivité (énergie, fiscalité pour les salaires et flexibilité). Par rapport à tous ces dossiers, nous n’avons pas de baguette magique. Nous faisons des propositions. Ce que nous voulons, c’est que la CGEM accompagne.
Que répondrez-vous aux opérateurs de certains secteurs comme la céramique qui réclament des mesures de sauvegarde ?
Nous ne croyons pas au protectionnisme. Cela ne fait qu’affaiblir l’économie. Par contre pour le cas de la céramique que vous avez évoqué et que je connais bien, il serait salutaire qu’il y ait des normes obligatoires, des références. C’est de cette manière que l’on peut contrer certaines importations frauduleuses. C’est valable pour tous les domaines. D’ailleurs dès que l’on s’engage dans une démarche de normalisation, l’on s’aperçoit qu’on fait des progrès en terme de management. Evidemment, si la TVA et les droits d’entrées sont chers, on encourage la fraude et la contrebande.
Mohamed Chaïbi : parcours d’un combattant
Né à Ouezzane en 1950, Mohamed Chaïbi est diplômé de l’Ecole supérieure des mines de Paris. Dès sa sortie de l’école, en 1975, il prend en charge l’exploitation des mines d’une filiale de l’ONA, dont il devient directeur-adjoint. Sa principale contribution a été d’introduire de nouvelles techniques et de moderniser l’exploitation des différents gisements. En 1978, il rejoint la Société des Ciments Français qui le nomme en 1979 directeur de sa filiale au Maroc, la Société des Ciments d’Agadir (SCA) qu’il va développer, notamment par des extensions de capacité et la création de Cimasfi, une nouvelle cimenterie à Safi.
Cette dernière fusionne en 1990 avec SCA pour devenir Ciments du Maroc, qui absorbera, en 1999, Asmar (cimenterie de Marrakech). Mohamed Chaïbi est alors nommé président-directeur général de la nouvelle entité. Parallèlement, une filiale, Betomar, est créée pour développer l’activité des matériaux de construction (béton prêt-à-l’emploi et granulats).
Aujourd’hui, Ciments du Maroc, filiale au Maroc d’Italcementi Group, regroupe plus de 1000 personnes, 3 cimenteries d’une capacité globale 3.300.000 tonnes, un centre de broyage à Laayoune, un terminal de ciment, 16 centrales à béton et 4 carrières.
L’engagement citoyen
Outre ses activités professionnelles, Mohamed Chaïbi est également président de l’APC (Association professionnelle des cimentiers), Président de la Commission entreprise et développement durable de la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc), président du CMPP (Centre marocain de production propre), vice- président de l’UMAQ (Union marocaine pour la qualité), membre du Conseil d’administration de la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement ; membre du Comité de soutien permanent de la Fondation Mohammed V pour la solidarité, trésorier de l’ ATH (Association du trophée Hassan II de golf); vice-président de la FRMG (Fédération royale marocaine de golf).
Marié, père de trois enfants, M. Chaïbi a été décoré en 1994 du Wissam El Arch au titre de sa contribution pour le développement du Groupe et l’investissement privé au Maroc.