Culture

Chaibia, le patrimoine par excellence

© D.R

La région de Chtouka, lieu du rendez-vous éternel du fleuve Oum Rabiâ avec l’océan Atlantique, est connue pour ses terres fertiles et son paysage naturel exceptionnel. De cette campagne est issue Chaïbia Talal, la célèbre peintre autodidacte dotée d’un charisme impérieux, qui voue un amour sans limites à sa région natale. Cette femme avait quitté très tôt le foyer parental, à l’âge de sept ans lorsqu’elle est venue habiter chez son oncle à Casablanca. A treize ans, elle est mariée à un homme très âgé, avec lequel elle allait avoir un fils. Jeune épouse à treize ans et veuve prématurée, et chef de famille peu de temps après, c’est trop pour une jeune femme qui est issue d’un milieu totalement étranger au monde de l’art. Ce qui ne l’a pas empêché de faire une carrière fulgurante.
Le mari ayant quitté la vie Chaïbia s’est retrouvée seule, démunie, mais belle et gaie, pleine de force, de courage et de volonté. Elle garde encore des souvenirs de cette époque où elle travaillait comme femme de ménage. «Pour bien élever mon fils, je bossais avec acharnement. Déjà à l’école, il s’est adonné au dessin, tandis que moi je travaillais, je participais à toutes les fêtes, tantôt riant et tantôt pleurant. Je rêvais beaucoup, cependant, je pressentais que ma vie devait changer», raconte-t-elle avec la spontanéité qu’on lui connaît. Elle a fait précisément un rêve extraordinaire à l’âge de 25 ans.
Un ciel bleu où tournoient des voiles, des gens inconnus qui s’approchent d’elle et lui donnent du papier et des crayons. Le lendemain elle achète de la peinture bleue avec laquelle on peint les entourages des portes et elle a commencé à faire des taches, des empreintes. Quinze jours après elle se procurait de la gouache et des toiles. «Dans la journée, je faisais le ménage, le soir je travaillais pour moi dans cette petite maison. Mon fils avait grandi, c’était déjà un bon peintre…» se souvient Chaïbia.
Ses congénères la traitaient de folle à cause des choses insolites qu’elle faisait toute gamine ; elle se fabriquait des couronnes de fleurs, des couronnes de coquelicots, et elle se les posait sur la tête. Aucune fillette de son âge n’en faisait autant, mais Chaïbia était dingue de coquelicots et de marguerites. Elle dégageait un air bizarre, mais cela ne l’empêchait pas de se couvrir de fleurs. Pour elle, ne pas avoir peur d’être bizarre est très important.
Chaïbia peint comme d’autres respirent. Pour elle, la vie quotidienne est tellement inspiratrice que la peintre n’éprouve aucun besoin d’inventer des créatures imaginaires ou des visions de l’au-delà. En tant que femme, être de chair, de sang, de peau,elle peint le réel tel qu’elle l’éprouve dans sa relation avec lui.
Ses premières expositions ont eu lieu en 1966, respectivement au Goethe Institut à Casablanca, à la Galerie SoIstite à Paris, puis au salon des Surindépendants au Musée d’Art Moderne également à Paris. Depuis, ce sont les couleurs qui venaient à elle comme le cours des eaux d’Oum Rabiâ. Chaïbia n’a jamais été hantée par le grand Art, l’obsession de nombreux pseudo-peintres. Elle dispose de sa propre loi du pinceau et incarne parfaitement le talent inné. Une idée qui se confirmera au fil des longues années durant lesquelles elle vécut mêlée à la peinture.
Ses couleurs disent la vie, la nature. Elle n’a jamais changé. Sa vie est plus facile mais elle est la même. Elle n’aime pas les gens secs, la couleur sèche. Elle peint les scènes de la vie quotidienne et aussi des situations plus abstraites. «Ma peinture me rend heureuse. Je suis heureuse avec la peinture, la maison, les chiens», reconnaît-elle. Elle adore les enfants et les animaux. Pour elle, «Les vêtements et les bijoux, c’est agréable. Mais je ne suis pas de ces femmes qui portent une fortune sur elles !». Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a que la peinture qui a de la place dans l’esprit de Chaïbia. Au contraire, «J’écoute de la musique, je regarde les films. J’aime les spectacles, la mise en scène, les artistes comme Aziza Jalal, Rhita Ben Abdeslam, Touria Jabrane et bien sûr mes amis peintres marocains et français… Alechinski, Corneille qui eux-mêmes sont à Paris».
Il faut accepter la vie et la vivre avec joie. Telle est la devise d’une peintre d’une trempe unique, à tel point que lui brosser un portrait s’avère difficile à réaliser devant son long et richissime parcours. Elle est tout simplement un patrimoine culturel national par excellence.

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