Autant en emporte le vent, c’est d’abord un roman de Margaret Mitchell paru en 1935 qui raconte l’histoire d’amour entre la jeune Scarlett O’Hara, 16 ans, fille de riches planteurs d’Atlanta, et Rhett Butler, sur fond de guerre de Sécession qui voit s’affronter les Sudistes et les Yankees.
Faut-il le préciser, ce roman ne dépeint pas la réalité. Même s’il s’appuie sur une trame historique, il est bien une fiction qui reparaît simultanément chez Gallimard, en Folio, dans la traduction originelle de Pierre-François Caillé, qui date de 1939, et chez Gallmeister, dans la nouvelle traduction de Josette Chicheportiche.
Instrumentalisation d’une œuvre
Lors de la dernière cérémonie des oscars, le président étasunien Donald Trump n’avait pas apprécié que le film Parasites de Bong Joon-ho remporte l’Oscar du meilleur film (voir notre article du 30 août 2019) et avait déclaré «Rendez-nous Autant en emporte le vent !» Chaque film peut être instrumentalisé, politisé, et celui de Victor Fleming n’échappe pas à la règle. Oui, Autant en emporte le vent peut faire penser que les États du Sud se sont battus pour leur indépendance politique et non pour le maintien de l’esclavage. Oui la condition insupportable des esclaves n’est pas montrée. Répétons-le, tel n’est pas le propos du roman ou du film. Ensuite, libre aux artistes de reprendre la trame et d’insister sur l’esclavage. C’est bien ce qu’ont fait Dove Attia, Albert Cohen et Kamel Ouali dans l’adaptation du roman en comédie musicale en 2003. La chanson «Être noir» s’est distinguée en faisant résonner la condition d’esclave noir dans un clip. Véritable triomphe, la comédie musicale aura rassemblé 650.000 spectateurs en France et drainé 39 millions de recettes pour 200 représentations.
Le quatrième meilleur film du cinéma américain censuré
Le roman-fleuve fut porté à l’écran par Victor Fleming en 1939 dans un film fleuve de près de quatre heures. Le mercredi 10 juin 2020, dans un contexte des manifestations contre le racisme après la mort de George Floyd, HBO Max a décidé de retirer le film de Victor Fleming de son catalogue. Le porte-parole de HBO Max estime que le film est «le produit de son époque et dépeint des préjugés racistes qui étaient communs dans la société américaine». Il ne s’agit pas d’un autodafé, le film sera remis en ligne accompagné d’une séquence de contextualisation. La décision peut sembler pédagogique mais, pleine de bons sentiments et de bien-pensance, elle oublie un fait de base : ce film n’est pas un documentaire mais une fiction !
HBO Max semble nier que les spectateurs connaissent cette nuance et, doués de raison et de sens critique, ils peuvent aussi se renseigner par eux-mêmes sur le contexte, l’auteure, ses intentions, l’histoire et les personnages. Le savoir est là, partout sur Internet, il suffit d’utiliser un moteur de recherche.
Le combat d’une actrice afro-américaine
Enfin, le film Autant en emporte le vent est aussi le combat de Hattie Mc Daniel. Les censeurs de 2020 oublient un peu vite que cette actrice afro-américaine est la première à remporter un oscar (de meilleure actrice dans un second rôle) pour son incarnation de Mammy. Lors de la 12e cérémonie des Oscars, le 29 février 1940, Hattie Mc Daniel est effectivement assise au dernier rang, réservé aux Noirs, mais cela ne l’empêche pas de recevoir la distinction. Il faudra attendre vingt-quatre années avant qu’un autre acteur noir ne reçoive un oscar (Sidney Poitiers). Les détracteurs de Hattie Mc Daniel aiment rappeler qu’elle est restée prisonnière de rôles racialement stéréotypés de domestiques et que son nom est souvent supprimé des génériques. Seulement, ces derniers devraient préciser que Hattie Mc Daniel s’engage contre cette injustice.
Avec l’association nationale pour la promotion des gens de couleur (NAACP), elle se bat pour que les acteurs noirs puissent aussi résider à Hollywood. Même si elle n’est pas Rosa Parks, qui milita dans la même association, Hattie Mc Daniel fait avancer la cause des Afro-américains. Censurer, même temporairement, Autant en emporte le vent, c’est, paradoxalement, nier l’engagement d’une Afro-américaine pour la reconnaissance des droits civiques de cette communauté. HBO Max aurait mieux fait de mettre à l’honneur cette histoire réelle au lieu de céder aux sirènes du politiquement correct.