«Il est nécessaire de faire au moins semblant d’avoir un job à plein temps au milieu de cette agréable clameur caquetante du show business.
Les débutants viennent à Hollywood pour être absorbés par le mouvement général, les vieux habitués (…) pour rester authentiques et se souvenir, je suis passé par là et ça pourrait se reproduire.» Cette citation issue de «Deux comédiens» de l’écrivain et scénariste étasunien Don Carpenter pourrait être un bon synopsis du nouveau Tarantino.
Trajectoire des étoiles
Le réalisateur nous présente le parcours de Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) de son apogée comme star du petit écran, comme chasseur de primes dans Bounty Law (peut-être un clin d’oeil à Bonanza, dont les 431 épisodes de western avec la famille Cartwright avaient séduit l’Amérique), à son déclin comme héros de westerns spaghettis, visibles uniquement en Italie. Martin Schwarz, son nouvel agent, superbement interprété par Al Pacino, lui explique bien, qu’avant de devenir définitivement obsolète, il peut encore donner la réplique à quelques jeunes talents, en se contentant de rôles de méchants. Caricatural mais tristement réaliste dans cet univers impitoyable qu’est Hollywood.
Pitt sublime anti-héros
Et pourtant, Rick s’en sort plutôt bien, comparé à son acolyte Cliff Booth qui doit se contenter de passer de cascadeur de la star à chauffeur-bricoleur. Brad Pitt interprète magistralement ce rôle de perdant et lui donne même une patine, inestimable. Pitt quitte les rôles secondaires (ceux comme Don «Wardaddy» Collier dans Fury) pour renouer avec du grand art cinématographique. Dans la scène au milieu des hippies, il en impose, par sa carrure, tout en maintenant le suspense avec sa sensibilité à fleur de peau. Si sa confrontation fictive avec Bruce Lee fait rire, c’est surtout la scène finale qui le consacre définitivement comme le véritable héros de ce film, en redonnant un peu de pulpes à cette fiction tarantinesque.
DiCaprio star analyste de stars
DiCaprio n’est pas en reste et apporte une belle analyse des fragilités d’un acteur, avec du recul et même de l’humour. Sa confrontation avec Trudie, l’enfant star (Julia Butters), devant un décor de saloon est à la fois touchante et hilarante. Comme Trudie, DiCaprio a commencé sa carrière pendant son enfance et il connaît parfaitement cette tornade qui fait et défait les vedettes, en un claquement de doigts. Ce duo DiCaprio-Pitt est incontestablement la plus-value de ce nouveau film de Quentin Tarantino. Il n’est pas certain que le film ait touché de la même manière les spectateurs si les deux rôles clefs avaient été tenus par d’autres acteurs.
Une histoire vraie pour pimenter
Outre cette fresque d’Hollywood, Tarantino nous dépeint, à sa manière, une histoire vraie qui avait bouleversé tout le gotha des Oscars : les meurtres perpétrés par des disciples de Charles Manson, à l’adresse, reprise dans le film, 10050 Cielo Drive, dans les hauteurs de Beverly Hills. A l’époque, l’actrice Sharon Tate (Margot Robbie) avait été victime des couteaux. 1969 prend une autre couleur avec Tarantino. Si ce dernier a tenu à choisir les acteurs pour leur ressemblance avec les acteurs impliqués dans ce fait divers, il n’en dévoile pas les détails macabres comme le ferait un numéro de «Faites entrer l’accusé». La séquence où Margot Robbies, interprète de Sharon Tate, regarde un film où apparaît la vraie Sharon Tate est bluffante par son effet miroir, utilisé comme ressort comique. Cet effet pastiche démontre que la véracité historique n’intéresse pas outre mesure le maestro. Comme dans «Inglourious Basterds», sorti en 2009, Tarantino se sert de l’Histoire et la montre à travers le prisme du cinéma pour en tirer une morale. Précisément comme dans un conte, dont il emprunte le célèbre incipit pour son titre : Once upon a time (il était une fois)… in (à) Hollywood.
Une morale classique à la sauce Tarantino
La morale ? Avant Don Carpenter, Ronsard avait déjà la clé dès 1524: «Cueillez, cueillez votre jeunesse. Comme à cette fleur la vieillesse fera ternir votre beauté.» À Hollywood, comme ailleurs, aucune étoile n’est éternelle. Que les âmes sensibles se rassurent, la touche de Tarantino n’est pas de rajouter des tonnes d’hémoglobine, comme dans Pulp fiction, les Kill Bill ou, plus récemment, les Huit salopards. Quasiment aucune goutte de sang dans cet opus ! Si le film présente parfois quelques longueurs, le fleuve de sang ne manque pas nécessairement. Ce long-métrage restera comme un conte cinématographique montrant la fragilité de l’avant-gardisme et de la reconnaissance du public. Pour son avant-dernier film, Tarantino s’offre le luxe de la sagesse. Les critiques adorent, les fans se déchirent. À voir, pour vous faire votre propre avis.
Par Sébastien Chabaud