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Nabil Ayouch : «On ne peut pas indéfiniment envoyer nos enfants dans une école qui ne leur donne pas d’avenir»

© D.R

Entretien avec Nabil Ayouch, réalisateur

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Nabil Ayouch revient en force avec son nouveau film «Razzia»  qui sera dans les salles de cinéma à partir du 14 février. Dans ce long métrage, des vies se croisent sans vraiment se rencontrer. Les 5 personnages du film s’entremêlent et se lient à Abdallah, qui a enseigné dans un village berbère dans les années 80. Plusieurs sujets sont évoqués dans ce film qui dure moins de deux heures. On y aborde la question amazighe, la faillite du système d’éducation nationale, les diplômés chômeurs, la situation des juifs marocains, le fossé entre les classes de la société et les libertés individuelles. Ces sujets pertinents sont narrés à travers des images saisissantes mais aussi et surtout par des acteurs qui nous transportent et nous plongent dans leurs propres histoires. Des histoires qui peuvent aussi être les nôtres.

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ALM : Tout d’abord, que veut dire le mot Razzia, et pourquoi ce choix ?

Nabil Ayouch : Razzia est un mot arabe qui a été repris par plusieurs langues. C’est le fait de prendre quelque chose par la force et l’emporter. Cela veut dire aussi reprendre tout ce qui nous a été volé. J’ai choisi ce mot symbolique pour dénoncer la confiscation des libertés publiques. Nous avons perdu beaucoup de choses comme la dignité, la justice sociale, la liberté individuelle, le droit à l’éducation. Et puis dans le film, il y a une deuxième razzia, ceux qui viennent récupérer ce qu’on leur a pris. C’est cette vague qu’on voit à la fin du film.

Justement, on voit dans le film des scènes de manifestations. Voulez-vous tirer la sonnette d’alarme sur ce qui se passe actuellement au Maroc ?

C’est une photographie du Maroc d’aujourd’hui qui ne s’est pas construit par hasard, qui s’est construit par toute une série de choix qui ont été faits dans le Maroc d’hier et qui donnent un instantané de la société marocaine. Après, je pense qu’on est à la croisée des chemins et ça ne veut pas forcément dire que ça va mal se finir. Cela dépendra de notre volonté de changer les choses, de résoudre les grands problèmes dont on souffre aujourd’hui.

A travers le personnage d’Abdallah, l’instituteur, vous revenez sur un sérieux problème de la société marocaine, notamment l’enseignement. Pensez-vous que les choses ont vraiment changé depuis les années 80 ?

Non pas du tout, pour ne pas dire que les choses ont même empiré. Plusieurs personnes ont tiré la sonnette d’alarme depuis une bonne dizaine d’années, pour dire qu’il y a un grand danger et qu’on ne peut pas indéfiniment envoyer nos enfants dans une école qui ne leur donne pas d’avenir ; qui en fait des personnes et des êtres en perte de repères. Profondément, la réforme qu’on attend tous n’a pas encore eu lieu. Il y a une volonté, il y a un constat qui est fait par le gouvernement et par le plus haut niveau de l’Etat, mais véritablement la réforme qui va permettre de redresser la barre et de donner un avenir à nos enfants n’a pas encore eu lieu.

L’injustice sociale, la faillite du système éducatif… tout cela peut-il créer une révolution au Maroc ?

Une révolution, peut-être pas, mais en tout cas un climat de frustration et de violence qu’on est déjà en train de vivre. Le film a été écrit entre août 2015 et septembre 2016, et on a commencé à tourner en octobre et là la réalité a rejoint la fiction avec ce qui s’est passé dans le Rif. Donc tout ça n’était pas réfléchi et en même temps, le film vient rencontrer une époque qu’on peut même dire universelle et mondiale. Il ne faut pas croire que ce dont je parle à Razzia se cantonne dans les frontières du Maroc. Si on parle par exemple du grand combat qui est la situation de la femme, ce qu’on pensait être gagné depuis des décennies en Occident, on se rend compte depuis des mois avec l’affaire Einstein et «Balance ton porc» que ce sont des combats qui n’ont pas été gagnés. Il y a des femmes y compris en Europe aujourd’hui qui ne peuvent plus s’habiller comme avant, donc c’est pour cela qu’il faut voir le film avec un peu de recul comme étant un film sur l’état des lieux.

Dans le film, vous dressez des portraits de jeunes marocains déboussolés. La jeunesse marocaine est-elle perdue à ce point ?

Oui la jeunesse marocaine est perdue, mais plus grave que ça, la jeunesse marocaine ne rêve plus. Et ce qui me fait le plus mal, c’est quand je vais dans les quartiers populaires ou même ailleurs, je rencontre des jeunes marocains qui me disent «je n’ai pas de rêve» ou encore «les rêves sont faits pour les fils de…». Je pense que si on veut construire un Maroc qui se développe il faut redonner de l’espoir à la jeunesse ; l’espoir en l’avenir.

Vous avez aussi présenté une belle palette d’acteurs marocains qu’on redécouvre dans votre film. On a vu Amine Naji qui a merveilleusement joué le rôle de l’instituteur, la magnifique Saadia Ladib, votre épouse Meriem Touzani qui a coécrit le film avec vous, Abdellah Didane, Younes Bouab, Abdelilah Rachid qui a joué dans votre film «Les chevaux de Dieu». Est-ce un choix de présenter le nouveau visage de ces stars?

J’avais envie de faire un film choral qui met en scène des personnages qui sont toutes et tous des personnes que j’ai rencontrées, que j’ai aimées et que j’aime encore depuis que j’habite au Maroc. J’aime l’être humain, j’aime parler de ma première passion qui est l’humain.

Votre film est interdit aux moins de 16 ans. Il y a plusieurs scènes de violence verbale et physique. Faut-il choquer pour sensibiliser ?

Pas forcément, il y a des scènes qui sont beaucoup plus violentes que d’autres dans le film, il y a aussi des scènes très douces, pleines d’amour entre les personnages, chaque personnage dans le film entretient une relation d’amour. Chacun des personnages dans le film aime et a envie d’être aimé, donc ce n’est pas un film uniquement violent.

Avez-vous de nouveaux projets ?

Il y a toujours des projets. Je travaille actuellement sur un nouveau film. C’est une comédie musicale hip hop.

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