Saviez-vous que l’Inde se trouve à Hay Mabrouka ? Bien sûr, ce n’est pas à la carte géographique que l’on s’est référé, mais plutôt à un certain Ahmed Rikaoui. Dans ce quartier casablancais de l’arrondissement Sidi Othman, tout le monde le connaît et sait qu’il est un «drôle d’oiseau». «Ah ! Vous cherchez l’hindi (l’Indien) ?» Ahmed porte le surnom de l’hindi, parce que c’est un grand passionné de la musique, des chants et du cinéma indiens. Avec sa taille moyenne, son teint mat, son sourire charmeur et son aspect vestimentaire, on le prendrait facilement pour un «hindi». Et ce n’est pas seulement une question de «coup de tête», car Ahmed Rikaoui, qui est photographe, «chante indien comme personne».
En tout cas au Maroc. Il imite une des grandes stars de l’Inde : Kishore Kumar. «Je chante comme Kishore et je reproduis le plus petit de ses gestes. Je suis la réplique exacte de ce grand artiste, vous savez ?», dit-il fièrement en balançant ses bras, pas pour nous en donner une preuve, mais juste par spontanéité. C’est que Ahmed a tellement pris l’habitude de chanter et de danser indien qu’il le fait sans même s’en rendre compte. ««Safi»! Je l’ai dans le sang cette musique et ce cinéma indiens.
Depuis que j’ai découvert Bollywood, ma vie à pris une seule direction : Bombay», confie-t-il. Une longue histoire d’amour tout aussi bien ficelée qu’un film bien à la sauce bollywoodienne. C’est en 1968 qu’Ahmed Rikaoui est entré dans une salle de cinéma pour regarder un film indien. Il n’avait, à cette époque, que 9 ans, et pourtant il n’a pas attendu beaucoup pour tomber fou amoureux du cinéma «made in Bollywood». Dans sa tête et sa vie, ce sont les acteurs, les chanteurs et les réalisateurs indiens qui prennent place.
Ahmed Rikaoui regarde les films et apprend les chansons. La langue? Il l’a apprise tout seul en répétant comme un oiseau. Il a commencé par «Choukria» (merci en indien) pour, ensuite, enrichir son vocabulaire et tenir carrément des conversations avec ses amis indiens, mais aussi la belle famille de sa sœur qui est Indienne. «J’ai appris, jusqu’aujourd’hui, 2.800 chansons indiennes», assure-t-il.
En fait, Ahmed loue, même, un studio pour enregistrer les chansons avec sa propre voix. Cela lui coûte cher, mais, pour sa passion, il est prêt à tout. Il est souvent invité aux cérémonies de mariage pour chanter indien et épater les gens qui ne le connaissent pas encore. «Quand je chante en direct, je peux rester devant le micro pendant une durée d’une heure et demie, mais quand j’apporte mes cassettes pour un play-back, alors là, vous lancez le train qui ne s’arrêtera pas !» plaisante-t-il. Jusqu’à ce jour, aussi bizarre que cela puisse paraître, Ahmed ne s’est jamais rendu au pays de ses rêves, ou plutôt de sa passion : «Je compte y aller cette année. Ce sera pour l’après Ramadan ou Aïd El Kébir.
J’irai, d’abord, visiter la tombe de Mohamed Rafie et Kishore Kumar. Je partirai, ensuite, à Bombay pour voir les artistes que j’adore», prévoit-il. Ces artistes, il ne rate pas l’occasion de venir les voir lorsqu’ils sont au Maroc. Au Festival de cinéma de Marrakech de 2005, il est allé à la rencontre des stars de Bollywood : Chachi Kapoor et Amita Bachan. Sa maîtrise du «hindi» a étonné et eu l’effet escompté. Ahmed est à présent célèbre auprès des acteurs indiens. Le public marocain l’aurait peut-être reconnu grâce à sa voix lors de son petit passage sur Radio Casa-FM.
En tout cas, le vœu le plus cher d’Ahmed est de pouvoir chanter pour tout le monde ! Il lui faudra juste l’occasion qu’il attend depuis des années : celle de l’ouverture de nos deux chaînes de télévision sur des stars de quartiers comme lui. Et en attendant, Ahmed poursuivra sa passion avec laquelle il s’est «marié». D’ailleurs, pour Bollywood, il n’est pas tout seul à s’y être autant attaché. Comme lui, de nombreux Marocains gardent une grande nostalgie pour les films indiens. Ahmed a justement une quinzaine d’amis de son quartier qui collectionnent les films, les scénarios, les chansons et les affiches de cinéma. Pour eux, ce sont les vieux films qui comptent vraiment. Ils vous conseilleront vivement de voir ou revoir «Guide» et «Mangala». La raison ? A croire ce groupe d’amis, ce sont l’une des pièces rares du véritable cinéma indien où romance, musique, couleur et tristesse construisent les bons ingrédients de toute la fiction.
Dans ce groupe d’amis, chacun doit réunir une composante du puzzle : Bollywood. Hussaïn, le grossiste, est celui qui détient les documents essentiels. Il cherche les vieux films et ceux qui ne sont pas dans les cinémas marocains parce qu’ils sont tout simplement très coûteux, d’après leurs dires. Avec lui, Hassan, Ismaïl, Ahmed, Abdelkhalek, Mohamed, Mustapha, Brahim, Jilali, sans oublier notre Ahmed l’hindi.
Tous sont adeptes de Bollywood, mais du «bon cru». Car, en fins connaisseurs de ce cinéma, ils pensent qu’en ce moment, les films indiens ne sont plus intéressants. Pour eux, le rythme accéléré que nécessite l’action ne laisse plus le temps au récit, donc à la belle romance. Et c’est en hommage à l’art des anciens et à ceux qui le préservent toujours que ce groupe d’amis casablancais veut constituer, à présent, une association d’amitié maroco-indienne pour la musique indienne. Ce samedi 7 avril, les réunions commencent pour donner vie à ce projet et déterminer les principales activités à entreprendre.
Cette association aura certainement un vif succès, car les adeptes de Bollywood se trouvent partout au Maroc. Les vieux cinémas en sont une preuve. Ceux qui fréquentaient les salles «Mauritania» et «Opéra» gardent certainement de très bon souvenir des films indiens. Aujourd’hui, peu de salles de cinéma survivent toujours en gardant leur cachet «hindi». Cinéma «Assaâda» à Casablanca ou encore «Faïrouz» à Rabat, programment toujours des films Bollywood, mais à l’affiche, ce sont les nouvelles tendances du cinéma indien qui prennent place.
Normal, les jeunes ont aussi un «feeling» pour ce cinéma. On vient surtout pour rêver comme Safae. «Je viens une fois par semaine au moins pour regarder le film indien au programme. Ce qui me plaît, ce sont surtout les histoires très tristes qui me font pleurer», confie-t-elle en regardant les images des séquences du film, collées derrière des barreaux. Safae contemple les visages de ces acteurs qu’elle ne regarde que dans les films et s’exclame : «Ils sont beaux ! Comme j’aimerais épouser un de ces mecs costaux et pleins de romantisme!»
Safae s’envole tout d’un coup sur un nuage. Elle n’est plus sur terre, elle est plutôt dans le film et c’est dans le silence de son imagination qu’elle se retrouve.
Parfois, même les employés de ces vieilles salles de cinéma y sont restés par amour pour Bollywood. A «Mauritania» du quartier Lagza à Rabat, par exemple, le jeune Si Mohammed travaille comme contrôleur. Un emploi qui lui rapporte 150DH par semaine en plus des pourboires. Une misère qu’il avoue supporter pour regarder gratuitement les films indiens. «Je ne suis pas le seul, les habitants de tout le quartiers viennent assez souvent regarder les fictions indiennes. Ils adorent surtout le fameux Sharokhan. Moi, c’est la musique indienne dont je ne m’en lasse jamais», explique-t-il. Il est vrai que la salle de cinéma n’a rien d’attrayant : sièges en bois, murs délabrés, maque d’entretien un peu partout et pourtant, les nostalgiques n’en prennent pas compte, parce que les prix sont à la portée de tous: 10DH pour le balcon et 8DH pour l’orchestre.
Forcément, certains adeptes deviennent facilement des clients.
Mais pour que cette salle puisse résister à la faillite, le Bollywood ne lui sert pas de potion magique. Le gérant a dû louer une partie de l’entrée à un commerçant pour ne pas arrêter l’activité du cinéma. Eh oui, il faut avoir les moyens pour faire barrage à cette avalanche de DVD et VCD qui envahissent nos marchés. Pour les salles de cinéma, ce n’est pas évident, mais pour les amoureux de Bollywood, tous les moyens sont bons pour partager quelques heures avec le beau Sharokhan ou avec la belle Aishwarya Rai.