Encore une nouvelle publication à l’initiative et avec le soutien de l’Académie du Royaume. Cette fois-ci, ce haut-lieu de savoir vient de publier un beau livre intitulé «Tberaâ. La poésie féminine hassanie». Une publication qui reflète vivement la démarche de cette structure pour conserver ce patrimoine. «L’Académie du Royaume, en se proposant d’illustrer cette préservation, privilégie une manifestation artistique féminine appelée tebraâ», précise Abdeljalil Lahjomri, secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume dans la préface de l’ouvrage.
Retour aux origines
Comme il l’explicite, tebraâ, expression d’un sentiment amoureux, est un poème féminin du ghazal, poésie d’amour. «Il nous vient des traditions de la société hassanophone (notamment les provinces du Sud…) », détaille M. Lahjomri. Comme il le précise, chaque poème ne comporte que deux vers aux rimes uniformes. «Il offre l’occasion aux jeunes filles d’exprimer par une parole poétique leurs sentiments à travers leur participation à une joute dans un cercle féminin très fermé», exalte le secrétaire perpétuel. Par l’occasion, il ne manque pas de remonter dans le temps. «Dans le passé, ces poèmes amoureux étaient récités ou chantés, mais les poétesses restaient anonymes», évoque l’auteur de la préface. Tel qu’il l’évoque, la femme dans la société traditionnelle devait s’interdire par pudeur de révéler ses sentiments amoureux publiquement. «Aujourd’hui, cette parole commence (timidement) à se libérer, à s’exprimer à haute voix et à sortir de la «marginalité»», ajoute-t-il. Le tout en notant que «tebraâ» n’est pas que des poèmes amoureux.
«Conservant le genre poétique, les femmes abordaient aussi d’autres thèmes», enchaîne-t-il. Et ce n’est pas tout ! Pour lui, tebraâ mérite d’être documenté, vulgarisé et sauvegardé «comme expression d’une sensibilité féminine rare dans le monde arabe».
Cela étant, ce beau livre est, comme l’indique M. Lahjomri, le fruit d’un projet collectif de collecte, transcription, traduction et d’enregistrement d’un corpus oral. Une sélection de « cent et un poèmes» a été effectuée par une équipe de fins connaisseurs de la thématique. Mieux encore, l’ouvrage est assorti d’un enregistrement audio avec une récitation de ces «cent et un poèmes» accompagnée de la «tidinît», instrument traditionnel de la musique hassanie.
Composition de la poésie hassanie
Selon Catherine Taine-Cheikh, qui introduit cette œuvre, «dans le cas de la poésie en arabe hassaniyya, les poèmes peuvent se limiter à un simple «gâv», c’est-à-dire à une suite de quatre vers (ou hémistiches) caractérisés par des rimes alternées abab». En détail, le «gâv» a, comme le précise Mme Taine-Cheikh, également directrice de recherche émérite, CNRS, France, été «composé par l’émir Sid’Ahmed Ould Aïda dans les années 1950, après sa sortie de la prison de Saint-Louis, alors qu’il était en route pour son Adrar natal». Dans son introduction, elle indique, en outre, qu’il existe aussi des poèmes de six vers (talâa) dont les trois premiers et le cinquième riment ensemble et se distinguent de la rime des vers quatre et six (aaabab). «On peut penser que le nom de «talâa» (littéralement «montée» en hassanyyia) est dû aux deux premiers vers de même rime qui constituent comme une élévation, un plateau, avant le quatrain suivant identique à un «gâv»», ajoute-t-elle en donnant assez d’exemples.
En outre, elle explique que «tebraâ» est une «forme verbale dérivée qui correspond en arabe classique à la forme «tabarraâa» qui signifie «donner quelque chose à titre de présent»». «On verra qu’à l’origine du tebrâ se trouve effectivement une attitude souvent désintéressée, par choix ou par nécessité- que le poème n’ait pas pour but de parvenir à son destinataire, que son message ne soit pas fait pour être compris ou que la réponse ne puisse pas être celle qui est espérée», poursuit l’auteure de l’introduction. Pour rappel, l’ouvrage illustré comprend également des traductions en français d’une sélection de poèmes «tebraâ».