Flash-back dans sa mémoire ocre. La première scène, trente ans auparavant, s’ouvre le livre des souvenirs de Daoud, l’enfant gâté de la famille et avec le sourire qui ne le quitte jamais, il déclare : «J’étais un enfant gâté car j’étais le seul garçon dans la famille. J’ai perdu mon père à l’âge d’un an et c’est ma regrettée mère, Roukayya qui a tout sacrifié tout pour notre éducation».
Dans son quartier natal, on l’appelait «le fils de sa mère» et l’enfant doué de l’école. «J’étais un très grand sportif et je jouais souvent au foot avec mes camardes. J’étais le chouchou du “derb”», déclare Daoud.
Né à la Kasbaâ et grandi à Arsat Moussa à 200 m de Jamaâ El Fna, à l’époque quartier international cosmopolite. Scène de Daoud, toujours enfant qui traversait quotidiennement, la place Jamaâ El Fna, le lieu où l’imagination se nourrit des ingrédients du monde fantastique, celui du cirque et du rêve. «Mon école s’appelait Al Kannaria. Je traversais 4 fois par jour la grande place Jamaâ El Fna et à chaque fois c’était un regard différent, une lumière différente, des personnes différentes, des histoires différentes…», se remémore, avec nostalgie, Daoud. Nouvelle scène; la «halka» des boxeurs, où l’enfant des sables, venait offrir du spectacle en se bagarrant avec un adversaire. «On se bagarrait réellement, on nous exploitait car on leur faisait du spectacle». Son premier court métrage «Mémoire ocre», raconte en effet l’itinéraire du matin au soir de l’enfant Daoud partant à l’école et assistant à toute cette richesse et cette diversité culturelle et traditionnelle, qu’offraient les spectacles de la grande place. A l’écouter raconter les plus beaux brins de sa vie, l’on est plus obligé de l’interroger sur les raisons l’ayant poussé à s’immerger dans l’océan du 7éme art. Et le film continue, l’enfant est toujours là, suivi par le zoom ultra grand-angle où l’on focalise sur un des plus beaux souvenirs de Daoud : «C’était le premier jour de la rentrée scolaire, je revenais le soir chez moi avec un énorme cartable contenant des affaires tout neuf. J’ai boxé et en rentrant je me suis rendu compte que j’avais oublié mon cartable. On était reparti le rechercher mais en vain», confie, en se tordant de rires, le réalisateur Daoud. Sa mère l’accompagnait voir des films. «J’adorais les films du western, les films indous. Je pleurais en assistant au film Dosty. Je regrette le Marrakech de mon enfance. On avait des ateliers de théâtre, on jouait les fables de la Fontaine, kalila wa dimna, des rôles d’animaux. C’était un travail sur la diction, la direction d’acteur. Tout cela n’existe plus aujourd’hui».
Doué, il avait la fibre de la littérature et des sciences.
«J’ai fait une spécialité en physique». Après la maîtrise, il quitte le sol natal et part en France, à Nancy où il présente sa thèse.
«J’étais tombé amoureux d’une superbe fille française que j’ai dragué à la marocaine, mon épouse depuis une trentaine d’années avec laquelle j’ai une fille Laïla et un garçon Ismaël». Des années plus tard, la virée vers le cinéma, la découverte de la photographie et les passions refoulées, refont surface. Que d’émotions à travers des rencontres heureuses; Henri Cartier Bresson, photographe et une première photo, celle d’un pigeon «que j’ai toujours gardé. Ma première image et leçon de cadrage, de l’objectif…20 ans après j’ai monté une expo à l’Institut du Monde Arabe et c’est Henri Cartier Bresson lui-même qui assiste à mon expo. C’était «regards croisés», confie Daoud.
Une nouvelle rencontre avec Jean Carrière, directeur la FEMIS (Fondation européenne pour les métiers de l’image et du son). Séduit par des photos de Daoud parus dans son livre «Le Marocain», il l’invite à venir à l’AFEMIS suivre un atelier de cinéma et c’est ainsi que démarre la véritable aventure du 7ème art, enfouie depuis l’enfance. De fructueuses rencontres marquent le parcours de ce professeur de physique de l’université de Rabat, Ahmed Al Bouanani, son «prof» ayant écrit presque tous ses films, Youssef Fadel, son grand frère, Touria Alaoui, Faouzi Saïdi… Ce passionné d’images, n’oublie pas de noter que «le cinéma marocain vit aujourd’hui son âge d’or, au niveau de la qualité et la quantité des œuvres cinématographiques. Une pluralité de regards et de styles différents, et une volonté politique qui suit avec cette émergeance bénéfique de grands festivals de cinéma, en l’occurrence, le FIFM».
Que de régale et de délices dans ses courts et ses longs métrages, «Mémoire ocre», «Adieu forain», «Le Cheval de vent», «Tarfaya», «Entre l’absence et l’oubli», prix à Clermont Ferrand, le Cannes du court métrage et puis «L’Ouad», Grand prix documentaires de l’Institut du Monde Arabe en 1995, et son dernier long-métrage «En Attendant Pasolini», prix du meilleur film arabe à la 31ème édition du Festival international du film du Caire, bientôt sur les écrans, à partir du 28 mai 2008.
Et dire que seuls ceux qui savent faire des calculs sont les plus intelligents! Et ceux qui savent créer des images, ne sont-ils pas ceux qui savent le mieux donner du bonheur ?!