Culture

De la foi et de la science

ALM : Dans votre discours sur l’islam et l’Occident, vous citez régulièrement la chute de l’Andalousie, pourquoi ?
Malek Chebel : Il faut garder à l’esprit que 1452, date de la chute de Grenade, est également l’année où Christophe Colomb a découvert l’Amérique. Vous vous rendez compte que la fin de la présence des Musulmans en Europe a coïncidé avec la découverte du Nouveau Monde. Inutile d’insister sur la symbolique du rétrécissement de l’espace des uns et de l’expansion de celui des autres. Cette chute a donné un coup de fouet extraordinaire aux Occidentaux. Elle a cassé en revanche, chez nous, toute motivation. Et depuis cinq siècles, nous nous lamentons sur notre sort en pensant à l’Andalousie d’antan.
Mais en quoi cela éclaire-t-il sur le monde musulman aujourd’hui ?
Si les Musulmans ne s’étaient pas tapés dessus, les Chrétiens n’auraient jamais pu les chasser de l’Andalousie. L’histoire des frictions entre les Musulmans se répète. En psychanalyse, cela s’appelle la névrose – qui est la répétition de quelque chose qui vous est douloureux. Les Arabes répètent une situation qui leur fait mal, très mal ! Ils ne regardent pas l’image que leur renvoie le miroir d’un peuple divisé, échouant sans cesse, sans colonne vertébrale, sans structure. Ils se détournent de cette image tout en fixant, par leur division, ses contours immuables.
Qu’est-ce qui manque pour que les choses changent ?
Nous avons une structure de la société super hiérarchisée, très peu mobile, qui n’a pas introduit le mouvement dans son système et son appréciation du temps. Nous avons des mécanismes mentaux et comportementaux qui continuent à remettre au lendemain ce que l’on doit faire aujourd’hui. Une sorte de gestion du temps qui est complètement anachronique et décalée. Nous ne sommes plus au Moyen-Age pour que le temps fasse le travail pour nous. Il manque peut-être une prise de conscience et un but.
Mais encore…
Que l’individu sorte de l’anonymat. La société a changé depuis XIV siècles. Pourtant ceux qui dénient à l’individu toute responsabilité, continuent de rêver à une société immuable, qui ne bouge pas. L’une des sorties de crise, c’est que l’individu soit plus valorisé qu’il ne l’est actuellement. Que chaque homme, chaque femme soit responsable de ce qu’il dit et ce qu’il fait. Qu’il éprouve la nécessité de rendre des comptes à sa conscience d’abord, à une autorité qui serait reconnue et peut-être par Dieu. Cette responsabilité individuelle n’existe pas dans le monde arabe et n’existera pas tant que l’on continuera à cultiver l’illusion d’un ensemble homogène ou d’une ouma.
Dans votre discours, vous adoptez une démarche historique pour déplorer tantôt une liberté qui n’est plus, tantôt pour marquer la période où il y a eu rupture…
L’islam était capable d’absorber le génie occidental et ne pas considérer que des concepts étrangers à sa culture menacent son identité. L’islam a été capable à un certain moment d’intégrer le persan, le grec, le chinois et de les transmettre à d’autres civilisations. Le problème, c’est que les fondamentalistes ont creusé un fossé entre la philosophie et la religion. L’une des raisons fondamentales de la situation que nous vivons aujourd’hui est que la religion ne peut faire l’objet d’une réflexion libre. Autrement, les fondamentalistes bloquent tout et crient à l’hérésie. Personnellement, je les combats. Je distingue, au demeurant, entre foi et religion. La foi, je n’y touche jamais, comme je ne tiens pas à ce que les fondamentalistes me touchent dans ma liberté de création. Autrement, je n’existe plus ! Je réclame la foi basée sur la science. Une foi sans savoir est une foi éteinte, sans lumière. Et qu’ils n’invoquent surtout pas le texte sacré ! Ils peuvent s’y référer pour soumettre la femme à l’homme, moi je le cite pour la libérer. Ils ne vaincront pas !
Vous parlez de ce sujet en termes guerriers…
Mais bien sûr que c’est la guerre ! Ceux qui ne comprennent pas qu’il faut prendre parti se trompent. Je sais que mon combat pour la liberté d’agir et de penser m’expose à des représailles. Je ne suis pas protégé, et si les fondamentalistes veulent ma peau, ils l’auront. Mais je préfère mourir libre que vivre soumis.

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