Hayat-Bouchra n’est pas une mère comme les autres. Son courage et sa patience font d’elle une battante. Il y a treize ans, elle a eu son premier enfant, Issam. «Il ne ressemblait pas aux bébés que je voyais autour de moi. Mon bébé tombait malade très souvent et aucun traitement ne pouvait le guérir. Je suis allée chez plusieurs pédiatres et aucun d’eux n’a eu le courage de me dire ce qui n’allait pas jusqu’au jour où je suis tombée sur un médecin qui m’a tout expliqué… », raconte la maman de Issam. Comme si elle revivait cet instant de « vérité » à chaque moment de sa vie, elle s’arrête de parler, les larmes aux yeux, puis elle reprend : «C’était un choc, mais je ne remercierais jamais assez ce pédiatre qui m’a montré le chemin et m’a donné les conseils à suivre pour soulager mon fils». Issam est infirme moteur cérébral en raison d’un manque d’oxygène alors qu’il était fœtus. C’est ce qu’on appelle communément un «IMC». Issam garde tous ses sens, mais il est incapable de toute mobilité. Il a besoin d’une assistance continue de jour comme de nuit. «Si je ne lui donne pas à manger et je ne l’aide pas à mâcher il ne mangera pas», confie sa maman. La nuit, il faudra veiller à lui faire changer de côté pour qu’il puisse bien se reposer et courir chez le médecin à n’importe quelle heure dès qu’il y a un problème. Non, Hayat-Bouchra ne dort presque pas pour que son enfant aille mieux. «J’ai eu un deuxième enfant qui est tout à fait normal, mais Issam, je garde pour lui une affection toute particulière», tient-elle à confier. Elle n’aurait jamais pu tenir le coup toute seule si son mari, Mustapha, n’était pas là. «Vous savez, beaucoup de maris divorcent de leurs épouses dans ces situations. Ils les laissent seules se battre pour la prise en charge de l’enfant handicapé», affirme-t-elle en regardant son conjoint qui dit en souriant : «Il faut être conscient de la responsabilité qu’on a en tant que parents et se battre pour son enfant. Il ne faut pas fuir, car l’enfant en paiera le prix».
Des parents responsables, Hayat-Bouchra et Mustapha le sont très certainement. Malgré les dettes qu’ils ont accumulées pour soigner Issam, ils n’ont jamais jeté l’éponge. Tout au contraire, ils se sont investis corps et âme pour apporter leur aide aux parents d’enfants IMC. Ils ont mis sur pied, en juillet 2001 à Rabat, une association qu’ils ont appelée « Foyer de vie ». Il s’agit d’un centre multidisciplinaire où des enfants IMC démunis peuvent bénéficier d’un enseignement, d’une thérapie et d’une animation. C’est à l’école des Oudayas qu’a ouvert ses portes ce centre grâce à la contribution du ministère de l’Education nationale qui a mis à la disposition de l’association deux salles de classe. Les parents de Issam ont, ensuite, fait appel à des donateurs pour l’aménagement de leur premier centre qu’ils ont choisi d’appeler «Ciel des anges». «Nous voulions mobiliser une équipe de différentes spécialités pour assurer une éducation motrice, apprendre aux enfants à communiquer, à compter, à utiliser leur savoir faire…», explique Mustapha qui énumère toutes les prérogatives de son association avec un grand enthousiasme. La ferveur de son militantisme et de son dévouement pour la cause de son enfant et celle des autres ont fait de lui un «papa exemplaire». Le manque de moyens pour Mustapha n’est pas un argument valable. «Ma femme et moi n’avions rien au départ et à force de volonté, nous avons pu concrétiser notre projet. Nous avons fait appel à des sociétés, à nos amis, aux ambassades… et il y a eu même des initiatives d’étudiants qui ont collecté pour nous des fonds afin que ça marche», déclare-t-il fier d’avoir relevé le défi. Eh oui, «ça marche» pour ce centre qui réunit 24 enfants pris en charge par une éducatrice, un kinésithérapeute et un psychomotricien. En course pour améliorer le rendement de «Foyer de vie», Mustapha et Hayat-Bouchra sont en train de se préparer à l’ouverture d’un deuxième centre à Salé. A Hay Chmaoû, ils ont trouvé un petit appartement dont le loyer n’est pas cher. «J’ai expliqué au propriétaire qu’on allait ouvrir un centre pour des enfants handicapés. Pour nous témoigner sa solidarité, il s’est contenté d’un loyer de 1600 dh par mois seulement. C’est grâce à des esprits ouverts et solidaires qu’on arrive également à tenir le coup», admet Mustapha. S’il tient à souligner cela, c’est parce qu’il a été, tout récemment, très déçu par la réaction des habitants d’un immeuble dans ce même quartier. Ayant trouvé un appartement vide au mois de Ramadan dernier, il a demandé au propriétaire de le lui louer pour son association. Mais les habitants s’y sont farouchement opposés arguant que les enfants handicapés leur «casseront la tête» et qu’ils ne veulent pas en avoir dans l’immeuble. Eh oui, il faut s’attendre à tout lorsqu’on est militant, car si plusieurs apportent leur soutien, d’autres n’hésitent pas à vous mettre les bâtons dans les roues. La règle d’or reste donc la persévérance qui finit toujours par apporter ses fruits. Les travaux d’aménagement du centre multidisciplinaire de «Foyer de vie» de Salé vont bon train en ce moment même. Trois salles, du matériel et des dons qui arrivent. «Ah ! On a reçu les ordinateurs !», s’exclame Mustapha à l’entrée du centre. L’association compte initier les enfants IMC à l’informatique. «Ils sont intelligents, si on leur apprend quelque chose, ils la mémorisent facilement et cela enrichit leur capacité à créer», insiste le père de Issam.
Il faut dire que le choix de Hay Chmaoû n’est pas le fruit du hasard. C’est là où habitent de nombreux parents d’enfants atteints de ce handicap. La proximité du centre les dispensera du transport jusqu’à Rabat d’autant plus que les accessibilités dans les bus sont toujours absentes. «Cinq parents que nous connaissons résident dans ce quartier et nous recevons déjà des demandes d’inscription», indique le fondateur du centre. Ahmed, Hajja Maria et Fadma, parents d’enfants IMC, sont venus, aujourd’hui, pour visiter le centre. Ils attendent son ouverture pour y amener leurs enfants. Chacun a une l’histoire à raconter ; l’histoire d’une douleur qui commence mais qui ne se termine pas. Certaines comme Hajja Maria se rendent toujours chez les médecins pour trouver le miracle tant attendu. «Ma fille Dalal a 19 ans et elle n’arrive toujours pas à marcher. A la maison, elle me fait des crises de nerfs face auxquelles je ne sais quoi faire. Je veux l’aider, mais je ne sais pas comment», confie Hajja Maria avec amertume. Le 20 novembre, elle a rendez-vous avec un spécialiste en neurologie qui devra examiner Dalal. «J’avoue que je m’énerve souvent et que je crie et cela n’arrange pas la situation», reconnaît Hajja Maria. Fadma, elle, a frappé à toutes les portes même celle des fquihs. «Je n’y croyais pas et pourtant je suis allée chez des charlatans à plusieurs reprises avant de me résigner», avoue-t-elle. Fadma a dépassé le cap de « la recherche du miracle » pour se rendre à l’évidence qu’il faut une prise en charge adéquate à son enfant, Oussama. Elle a appris grâce à des associations à lui faire de la gymnastique.
Qui dit prise en charge dit frais. Pour plusieurs parents, c’est le véritable handicap qui se dresse face à eux. A « Foyer de vie », on ne paie ni cotisation ni droit d’adhésion sauf si on en a les moyens. Les uns donc paient pour les autres dans la mesure du possible et les bailleurs de fonds extérieurs représentent les ressources les plus précieuses. L’association réunit ces parents qui se sentent oubliés quelque part et cela leur sert de thérapie de groupe. Ils se soulagent en racontant ce qu’ils ont sur le cœur et s’aident mutuellement. Leur espoir sert de remède à une souffrance commune. Il leur suffit de jouer avec leurs enfants IMC, de leur parler et de voir un sourire s’afficher sur leurs petits visages pour que ces parents retrouvent la joie de vivre ne serait-ce qu’un laps de temps.
Ces parents ne se seraient pas battus s’ils n’avaient pas confiance en l’intégration sociale et professionnelle de leurs enfants handicapés. A la direction de l’évaluation, de la vie scolaire et des formations inter académiques (ministère de l’Education nationale), c’est l’une des priorités sur lesquelles travaille le service de la santé scolaire. «Nous essayons d’assurer à un maximum d’enfants handicapés le droit à l’intégration dans une école», déclare Mohammed Anouar Boukili, chargé de ce dossier. Psychologue de formation, ce cadre insiste sur l’intérêt que revêt la question sur le plan national en accélérant la création de classes intégrées (pour enfants handicapés) dans les écoles publiques. «Au départ, on se limitait à 15 classes par année, mais vue la croissance de la demande, cette règle ne vaut plus. A présent, on passe à 200 classes par an comme le stipule la convention quadripartite réunissant le ministère de l’Education nationale, la Fondation Mohammed V pour la solidarité, le ministère de la Santé et le secrétariat d’Etat chargé de la Famille, de l’Enfance et des personnes handicapées», indique M. Boukili.
Cet accord signé au mois d’avril répond à l’énorme retard accumulé en matière de scolarité des enfants handicapés au fil des années. Durant ces six dernières années, le nombre des élèves handicapés est monté de 611 à 2093 et celui des classes de 47 à 185. Ce sont les enfants souffrant d’un handicap auditif ou mental léger qui sont inscrits dans ces classes intégrées. D’après les dernières statistiques de l’Education nationale, c’est la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër qui détient le plus de classes intégrées avec un total de 39 pour 412 enfants handicapés. Le Grand-Casablanca, Chaouia-Ouardigha et Souss-Massa-Draa arrivent ensuite avec respectivement 22 et 20 classes intégrées pour plus de 200 élèves (une dizaine par classe).
Les régions qui disposent de moins de classes de ce genre restent Laâyoune et Oued Eddahab.
«En principe, les enseignants désignés pour l’éducation de ces enfants sont formés pour pouvoir assumer ce travail. La dernière formation au profit de 60 encadrants a eu lieu, la semaine dernière, au Centre national que vient d’inaugurer le Souverain à Salé. Cette nouvelle structure servira énormément à renforcer et à améliorer la formation et l’intégration scolaire des enfants handicapés», souligne M. Boukili. Ils doivent être jeunes (moins de 35 ans) et surtout motivés pour être sélectionnés. Mais pour faire de l’éducation au profit d’enfants handicapés, il ne faut pas oublier que toutes les parties qui y sont liées de près et de loin doivent s’y engager entièrement. «Le plus gros problème de l’intégration scolaire de ces enfants c’est le manque de volonté constatée chez des délégués, des directeurs d’établissements et même chez certains parents qui ne veulent pas que leurs enfants aient des camarades handicapés. C’est une question de mentalité !», s’exclame ce cadre. Et de préciser : « Chaque partie doit assumer sa tâche y compris les collectivités locales pour que ce travail puisse vraiment aboutir à du concret». Si la mobilisation de tous est nécessaire pour l’intégration scolaire et professionnelle des enfants handicapés, il n’est pas possible, cependant, que tous les enfants handicapés puissent en profiter même s’il n’est question que d’éducation fondamentale. Il ne faut pas oublier que pour chaque enfant, il y a un rythme à suivre et donc tout un projet pédagogique individualisé et l’Etat ne peut pas l’assumer. Deux sur trois enfants en situation d’un handicap de 4 à 15ans ne vont pas à l’école, selon l’enquête nationale sur le handicap de 2004. D’après cette dernière, 74.730 enfants handicapés sont scolarisés alors que 155.917 n’ont pas eu cette chance.
Vers l’établissement d’un plan d’Action :
Au secrétariat d’Etat chargé de la Famille, de l’Enfance et des Personnes handicapées, un projet de plan d’action pour l’intégration des enfants handicapés est soumis à l’étude. Les priorités ont été déjà identifiées, il ne reste plus qu’à soumettre ce projet à un expert pour sa relecture. Dans les trois prochains mois, nous confie-t-on, le plan sera élaboré et prêt à être exécuté. Mise à niveau, formation, sensibilisation, accompagnement sanitaire, équipement, information des parents, développement de partenariat… L’action se veut être pluridisciplinaire engageant une coopération avec l’ensemble des départements surtout celui de la santé pour prévenir et diagnostiquer les handicaps. On veut, également, créer des centres de référence qui pourraient servir d’exemples aux associations. A titre d’exemple : le centre des enfants autistes à Tanger et le centre national des enfant handicapés abandonnés qui verra le jour à Meknès en 2007.
Plus de 550 associations militant pour l’éducation des enfants handicapés ont désormais un rôle capital à jouer. Ce secrétariat d’Etat les assiste sur le plan technique, mais aussi financier. Cette année, il leur a octroyé 7,5 millions de dirhams.