Culture

Deux modèles, un même échec

Il faut bien le dire. Les romans publiés à compte d’auteur souffrent d’un préjugé défavorable. L’on se dit que s’ils n’ont pas trouvé preneur dans les maisons d’éditions, c’est qu’ils ne présentent pas les qualités requises. Les idées préconçues ne sont pas toujours bonnes. Et lorsque l’on compare un grand nombre de livres sortis des maisons d’édition marocaines à « La Nuit africaine » de El Miloud Hafidi, l’on ne sait plus quoi penser des comités de lecture. «La Nuit africaine» présente des qualités certaines. Il se lit très agréablement, attache à la lecture. Il commence comme une fable sur le partage d’un pays en Afrique noire : le Soudali. Ce partage est l’oeuvre du colonisateur. Deux pays en sortent, le Fakumbu et le Nagambé. Les deux voies distinctes qu’ils empruntent sont à l’image du mode de gouvernance à l’africaine.
Au Fakumbu, un homme inculte prend les rênes du pouvoir. Il saigne son pays pour son bien personnel. Le portrait que le narrateur brosse du président Lantaré doit beaucoup à l’empereur Bocassa. Entre les deux hommes existent des similitudes. L’un et l’autre voient très grand. L’un et l’autre ne cherchent pas moins qu’être désignés par le nom d’empereur. Le modèle mange des enfants, le personnage du roman est particulièrement friand d’un plat à base de testicules humains pour augmenter sa virilité. Lantaré va nourrir des projets démesurés. Son moi incommensurable est plus grand que son pays, plus large que la population. «Moi, Lantaré» est une formule qu’il prononce régulièrement. Il déclare que l’Histoire de son pays ne peut commencer qu’avec le règne d’un homme de sa taille. Il bannit à cet égard les temps du passé du parler de ses sujets, et laisse libres d’usage seulement le présent et le futur. Son culte du moi le pousse à narguer ceux-là même qui l’ont mis au pouvoir. Il leur déplaît. Il est assassiné par un sergent de son armée alors qu’il se livre à une orgie. Ce putsch est prémonitoire des régimes éphémères dans certains pays en Afrique Subsaharienne. Le Fukumbé va vivre au rythme des fusillades dans le palais présidentiel. L’autre pays, le Nagambé, est stable. Son président n’est pas ridicule.
Il s’enorgueillit même d’une certaine forme de liberté d’expression. Il affiche un certain respect des droits de l’homme -surtout en direction des pays occidentaux. Car, bien entendu, c’est de droits de l’homme à l’africaine qu’il s’agit- avec un président à vie et un parti unique. Tout est pipé au Nagambé. Le pays est si bien rongé par la corruption que le sens de ce mot se confond avec affaires, business. Les avantages personnels y sont une loi.
Les leaders syndicalistes ne militent que pour leur promotion dans le régime ou parce que leurs espoirs ont été déçus par le pouvoir. Dans les coulisses, il existe de puissantes entreprises dirigées par des Blancs. Celle du cacao en premier lieu, et dont le directeur, un certain Chamberloup, est un acteur principal des agitations dans ce pays. Telle est l’image que nous brosse Hafidi de deux pays en Afrique noire.
Son style est agréable, entraînant. Cet homme de 57 ans, qui a préféré prendre une retraite anticipée pour se consacrer peut-être à l’écriture, n’est pas de ceux qui se préoccupent de l’écriture littéraire moderne. Pas de recherche formelle. C’est la narration et le récit qui prédominent. On peut toutefois lui reprocher de n’avoir pas toujours su observer un fil conducteur pour ficeler tous les événements qu’il relate. Le roman éclate par moments dans plusieurs sens. Des personnages apparaissent, d’autres s’évanouissent. On sent cela particulièrement dans deuxième partie du livre. Mais ces réserves n’entament en rien le principal attrait du roman: le plaisir qu’il dispense à la lecture.

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