Benabar
Bénabar (pseudo verlan qui fait référence au clown Barnabé), de son prénom Bruno, a choisi pour ce deuxième acte, de conter les "vicissitudes" de l’existence avec une pincée d’autodérision et d’humour fantaisiste. Telles des courts-métrages (il en a d’ailleurs réalisé trois), ses chansons en noir et blanc – parfois en couleurs – défilent sur des rythmes frénétiques soutenus par une fanfaronnade de cuivres. Parfois l’accordéon vient calmer le jeu sur les airs du désopilant "Bon anniversaire". Mais la folie douce reprend de plus belle lorsque l’ ex- célibataire de "Y’a une fille qu’habite chez moi" constate avec effroi les ravages causés par la vie en couple. De l’amoureux amer de "La Majorette", à ce gamin de 5 ans affrontant l’ humiliation d’un "vélo" récalcitrant, personne n’échappe au petit monde imagé de Bénabar. Il y a quatre ans, escorté de ses joyeux Associés, Bruno alias Bénabar publiait un premier album La p’tite monnaie, certes confidentiel, mais qui témoignait déjà d’une plume vive et d’un tempérament aussi révolté qu’enjoué. Aujourd’hui réduit à une formule solo, ce touche-à-tout (il a réalisé trois courts-métrages et joue de la trompette !) revient nous enchanter avec un album plus abouti dans sa réalisation (merci Alain Cluzeau ! cf. Paris Combo), mais toujours aussi jubilatoire et festif. Même si une pudique mélancolie pointe toujours, ici ou là, le bout de son nez…
Sur des mélodies toutes simples trahissant son goût prononcé pour le Rock-musette, Bénabar fait preuve d’une imagination très fertile et d’un incroyable sens de la narration, au fil de ses douze chansons en forme de tranches de vie, projetées ici comme de mini-films en super 8, avec un sens de l’autodérision qui n’est pas sans rappeler les débuts d’un certain Renaud. C’est ainsi qu’avec gouaille et délectation, il se glisse dans la peau d’un malchanceux trentenaire ("Bon anniversaire") ou d’un amoureux solitaire ("Majorette"), joue au détective des bacs à sable ("Y’a une fille qu’habite chez moi"), juste avant de s’attendrir sur le sort d’une femme trop souvent plaquée ("Porcelaine"). Malicieux et corrosif ce Bénabar ! Pas surprenant qu’Henri Salvador l’ait choisi pour assurer sa première partie.
Ray Charles : The genius

Ce disque est l’un des chefs-d’oeuvre de Ray Charles en même temps que son premier album à être classé dans les charts, devenant accessoirement l’une des plus grandes réussites commerciales et artistiques du rhythm’n’blues américain. Dans la lignée de ses titres des années 50, Ray Charles se montre ici un interprète exceptionnel, avec une voix sans égale, reprenant des morceaux comme "Alexander’s Ragtime Band" ou "Come Rain Or Come Shine" qui bénéficient d’arrangements somptueux de Quincy Jones. Aux confins du blues, du jazz et de la pop instrumentale, ce disque séduit un public blanc, ce qui en fait donc un disque de transition historique entre le rhythm’n’blues noir et la soul/pop des années 60, qui est ici définie dans toute sa splendeur. Cet album est aussi le dernier de la fructueuse collaboration avec Atlantic, un des plus grands labels indépendants de l’histoire de la musique enregistrée, Ray Charles signant peu de temps après avec ABC-Paramount. Indispensable, ce disque marque la fin d’une époque et l’annonce d’une période nouvelle, dont Ray Charles ressortira également auréolé.
Massive Attack : Blues Line

Il aura suffit de ces neuf joyaux pour inventer la soul du futur et réconcilier samples et chansons en un tour de force plébiscité unanimement. 1990, début d’une nouvelle décennie : un collectif à géométrie variable conduit par le trio de Bristol composé de 3-D, Mushroom et Daddy G change la donne musicale contemporaine. En intégrant les breakbeats issus du funk, la charge atmosphérique et émotionnelle des BO majeures, la basse du reggae, l’écho et les trouvailles sonores du dub, le feeling et le chant de la soul, le scratch et le phrasé du rap, Massive Attack crée un chef-d’oeuvre de fusion ultra cool et de métissage moderne. Avec un atout indéniable, la présence de trois vocalistes remarquables : Shara Nelson en Aretha Franklin rêveuse, Horace Andy le vétéran roucoulant venu de Jamaïque et le nouveau venu au rap intrigant, Tricky. Concluons par une simple question : qui peut rester insensible aux violons de l’envoûtant »Unfinished Sympathy »?
De La Soul : 3 feet High and rising

Longtemps qualifié de "Sgt Pepper’s" du rap, ce disque a, en tout cas, inauguré son courant le plus cool : le Daisy Age. Loin des thèmes habituels vindicatifs ou macho du rap, ce trio de Long Island a créé la surprise en 1989 en abordant des sujets comme la défloraison d’une jeune fille ou en tournant en dérision l’égocentrisme des rappers. Mais il y a plus novateur encore, les De La Soul piochent leurs samples là où aucun groupe de rap ne s’était encore aventuré. Qui, avant eux, aurait eu le culot de sampler le crooner à paillettes Liberace, Steely Dan ou Johnny Cash ? Ils sont d’ailleurs parmi les premiers à être poursuivis pour sampling non déclaré et perdent un fameux procès contre le groupe de folk-rock, les Turtles. Sous la direction du génial producteur Prince Paul, roi du collage surréaliste et azimuté, ils ne se contentent pas de détourner des musiques, ils construisent aussi des morceaux autour d’enregistrements de jeux télévisés ou d’une hilarante leçon de français. Sous sa pochette flower power fluo, cet album n’a pas fini de dévoiler ses richesses. Il suffit de voir à quel point il a influencé des gens comme A Tribe Called Quest, P.M. Dawn ou MC Solaar.