Le spectacle devait commencer à 21 heures. Pourtant, une heure plus tôt, la grande salle du Théâtre national Mohammed V était à moitié comble. Les premiers arrivants ont pris la précaution (providentielle!) de se pointer avant l’heure «H», tellement la «forteresse» semblait imprenable. Dans le hall, pas plus qu’à la porte du théâtre, il n’y avait presque plus de place pour les «retardataires». Il fallait jouer des coudes pour avoir accès à l’orchestre (rez-de-chaussée du théâtre) déjà pris d’assaut par une impressionnante foule, mettant à très rude épreuve la patience d’agents de sécurité visiblement débordés. Au lever de rideau, retardé à 21h30, les allers-retours n’ont toutefois pas cessé. Pas plus que l’énorme chahut qui continuait de remplir la salle, preuve, si besoin en est, de la popularité de la troupe du Théâtre national Mohammed V et en particulier de son «capitaine» l’humoriste Mohamed El Jem.
En témoigne ce tonnerre d’applaudissements dont le public l’a gratifié à son entrée en scène un quart d’heure après le commencement du spectacle «Al Marâ allati…» (La femme qui…). Nezha Regragui, dans le rôle de cette «Femme qui…», était, elle aussi, très à l’aise dans son personnage «Ouafaâ». Présidente d’une association féministe, elle a montré, de façon quasi-caricaturale, comment des militantes des droits de la femme dérapent vers la haine… du masculin. En veillant à chaque fois à donner à la femme l’image d’une «éternelle victime» de l’homme, les féministes versent dans une sorte de «victimologie» non justifiée.
C’est en tout cas le message qui se dégage à travers le «duel» entre «Ouafaâ» et sa fille. Cette fille, qui défend ni plus ni moins l’équité entre hommes et femmes, a comblé de ridicule une «mère» qui se montre plutôt excessive quand il s’agit de prendre parti pour la cause féminine. «Que ferions-nous sans les hommes ? », martèle sa fille. Crépitement d’applaudissements au sein d’une foule approbatrice, tous genres et catégories d’âge confondus. Le degré de surchauffe montera d’un cran à l’entrée triomphale du comique El Jem, le prétendant d’une mère dont la méfiance à l’égard des hommes frise la paranoïa. Si difficile que cette tâche ait pu paraître, le prétendant, personnifié par un El Jem toujours pétillant, n’a pas manqué de la réussir. Avec son verbe décapant, mais aussi et surtout avec une mimique et des tics comme seul El Jem sait jouer, il a offert comme à l’accoutumée au public de véritables occasions… de rire. Au fil des spectacles, ce comique a su se forger un personnage-type, on dirait taillé à sa juste mesure. El Jem a certes de la peine à sortir de ce personnage, à varier autrement dit sa palette de jeu, mais c’est tant mieux si ce personnage continue de faire rire son public. Ce jeu-standard est d’autant plus accepté qu’El Jem se rattrape sur le registre du contenu. Et là, l’artiste a montré qu’il est capable de faire rire de sujets noirs sans risquer de blesser personne.
Dans ses répliques, il multiplie tour à tour ses «piques» corrosives à l’encontre des responsables de scandales comme «Annajat », ses «griefs» contre des procès de grands bonnets de l’ancien système qui commencent pour ne plus finir, cet Etat qui, à force de privatisations, finira par se trouver sur la dure (!), ces diplômés-chômeurs qui ne savent plus à quel saint se vouer… Ces sujets, paraît-il très consommés et pour tout dire galvaudés, retrouvent toutefois de la fraîcheur à la bouche d’El Jem.