L’ « Emile » reste, encore aujourd’hui, un des meilleurs livres qui ait jamais été écrit. Quand on l’a lu, on ne voit plus les choses comme avant : c’est comme si toute notre vision du monde, et notamment celle de l’éducation, était bouleversée. Pendant 600 pages, Rousseau déploie toute sa verve, et écrit en lettres de feu l’un des ouvrages les plus importants et les plus beaux de l’Histoire.
Tour à tour violent, romanesque, prophétique – page 252 : « Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions » – éloquent, lyrique et théoricien, il aborde toutes les grandes questions de la pédagogie, et pose les fondements d’une réelle éducation naturelle et moderne. Tout au long des cinq livres qui constituent l’ouvrage, le lecteur s’enrichit ainsi de celle qu’il donne, de la naissance à 25 ans, à son élève imaginaire, Emile.
L’importance de l’allaitement maternel, les caprices de l’enfant, l’éducation physique, professionnelle, morale et conjugale, tels sont certains des grands thèmes qui sont abordés. Mais là sans doute n’est pas le principal : la force de Rousseau, c’est de redonner à l’enfant – et à celui que nous avons été, et que nous sommes toujours peut-être – la place qui est vraiment la sienne. A chaque âge, en fait, correspond sa leçon, ou plutôt son exercice… A sa publication, l' »Emile », et notamment la « Profession de foi du vicaire savoyard » – que certains fanatiques et dogmatiques aujourd’hui devraient relire – s’attire les foudres de tous les gens en place : aristocrates, religieux, médecins, parlementaires, philosophes.
Le livre est condamné à être lacéré et brûlé, l’auteur est brûlé en effigie, et décrété de prise de corps. Celui qui inspirera Goethe, Laclos, Stendhal et Tolstoï – pour ne citer que ceux-là – commence alors sa vie de proscrit, et se réfugie où il peut. Pourtant, Marie-Antoinette elle-même suivra très tôt ses principes, et ne sera pas la seule… Aujourd’hui, presque 250 ans plus tard, le temps semble s’être arrêté, et l' »Emile » reste d’actualité. « Vivre est le métier que je lui veux apprendre », écrit Rousseau au début de son livre, en parlant de l’éducation qu’il va donner à son élève. Et l’amour d’Emile et Sophie – comme celui de Saint-Preux et Julie – résonne encore dans le coeur de ceux qui savent l’écouter.
Emile ou de l’éducation,
Flammarion, 1972, 628 pages