Lorsqu’il n’est pas occupé à signer des autorisations commerciales dans son bureau de l’Arrondissement d’Anfa, Haj Abdelhaq Harrat rêve d’un ambitieux projet : assurer, dans le cadre de l’association Sidi Belyout dont il est le président, la formation des jeunes gens de l’ancienne médina aux métiers de la sécurité. Il peut compter, à cette fin, sur la collaboration d’une autre association, l’Académie de sécurité privée civile dirigée par son ami Abderrahim Ghaba, spécialiste en la matière : Kung Fu, autodéfense, interception, protection de personnes et sécurisation de sites sans oublier le dressage de chiens, son domaine d’excellence.
L’objectif est tout d’abord de briser la fatalité du désœuvrement et de l’incivisme qui conduit tant de jeunes à se marginaliser au point de constituer une nuisance pour les habitants de l’ancienne médina, qui peine à se débarrasser de la réputation de coupe-gorge qui lui est attachée.
Sachant que les jeunes ainsi formés pourront également être mis à contribution lors d’événements ponctuels organisés par l’association Sidi Belyout, dans la mesure où il n’est pas question pour celle-ci de les employer à titre permanent.
En précisant que l’initiative de M. Harrat, qui rêve en secret de voir ses futurs diplômés en sécurité engagés par des entreprises privées, notamment les promoteurs du projet Marina Blanca, n’est pas la première du genre.
Il y a deux ans déjà, Youssef Serhani président de l’association Ahmed el Bidaoui, basée également en ancienne médina, avait entrepris un projet similaire : arracher les jeunes au désœuvrement et à la délinquance par la vertu de l’exercice physique, de l’initiation aux arts martiaux et surtout, par un patient travail de conscientisation et de responsabilisation.
Résultat, une jeunesse resocialisée et surtout, des candidats potentiels au recrutement par l’une des nombreuses entreprises qui offrent leurs services en matière de gardiennage, surveillance et sécurité, sur un marché en très forte expansion. Est-ce parce que le monde est devenu de plus en plus dangereux ou parce que les gens sont de plus en plus peureux, toujours est-il que ce marché-là est synonyme de profits juteux.
Ceci expliquant cela, les entreprises de sécurité privée sont devenues le nouvel eldorado professionnel d’un grand nombre de jeunes gens des deux sexes qui n’ont d’autre capacité que d’offrir en service leur forme physique et leur capacité à s’interposer.
Rien d’étonnant donc à voir proliférer dans nos villes ces uniformes cravatés gonflés de muscles impressionnants postés aux entrées des magasins, galeries marchandes et entreprises privées, sans oublier l’événementiel… Le Festival de Casablanca par exemple, où les agents de la force publique semblent faire bon ménage avec ceux de la société chargée d’en sécuriser les manifestations, en l’occurrence General Private Services, plus connue par ses initiales GPS.
Interrogé sur les spécificités de ce qu’il définit comme un métier à part entière, M. Mohcine Benhima, chargé de mission à GPS, commence par mettre en avant le professionnalisme rigoureux de son entreprise, leader de son secteur et qui, en la personne de son directeur général, préside actuellement l’AMEG, l’Association marocaine des entreprises de gardiennage.Gardiennage, le mot semble faible au regard des prétentions affichées par certains opérateurs: mise en place d’agents de surveillance et de maîtres-chiens, surveillance et gardiennage, télé et videosurveillance, protection de sites par contrôle de rondes électroniques, protection rapprochée, transport de valeurs… Mais c’est précisément sous cette appellation que l’activité est régie par un Dahir datant des années 30, à une époque où l’on ne concevait le gardiennage que sous l’angle de la conciergerie. Avec en prime, l’interdiction faite aux entreprises prestataires de ce genre de services de faire figurer le terme « Sécurité » dans leurs raisons sociales.
L’une des questions qui se posent en effet est celle de la délimitation des limites de compétences de ces entreprises.
En termes clairs, un vigile posté à l’entrée d’un supermarché est-il habilité à intervenir, en cas de besoin, contre un malfaiteur ou un fauteur de trouble ? La réponse de M. Benhima est sans équivoque : oui, mais à condition qu’il se contente d’immobiliser l’individu concerné en attendant de le remettre entre les mains des forces de l’ordre. Autrement dit, un vigile n’a pas plus de prérogatives en la matière qu’un simple passant, qu’on se le dise ! Complément de réponse avec M. Ouachi, patron de Sécuprotect, une entreprise créée il y a trois ans : «le champ d’intervention de nos agents s’arrête aux frontières de la voie publique, même si la nature de certaines de nos prestations nous amène parfois à exercer en extérieur.»
Autre problème posé par la pratique de ce métier, dont les opérateurs souhaitent voir reconnaître la spécificité, celui des uniformes portés par leurs agents : «Ils doivent être suffisamment expressifs et valorisants sans prêter à confusion avec les tenues des agents de la force publique», souligne M. Ouachi, qui rapporte que certaines entreprises ont été invitées à revoir la tenue de leurs agents.
Tout en précisant que dans l’ensemble, agents de sécurité privée et forces de l’ordre ont appris à travailler en bonne intelligence et que ce problème-là n’est vraiment pas le plus important.
Car le plus important, revendiquent avec force les membres de l’AMEG, est «la mise en place d’un cadre réglementaire adéquat». Concrètement, l’AMEG milite pour que la sécurité cesse enfin d’être privée de l’essentiel, à savoir une loi claire et sans équivoque, votée en bonne et due forme par le Parlement, qui réglementerait l’accès à la profession et confèrerait un statut précis aux vigiles et autres agents de sécurité. Pour en finir avec ces trop nombreuses entreprises qui vendent de la « sécurité » en même temps que du nettoyage ou de la dératisation, voire qui se contentent de faire de la mise à disposition de pauvres diables en uniforme de circonstance.
L’Académie de Abderrahim Ghaba
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