Près de 4 millions d’enfants au Maroc se sont inscrits cette année à l’école élémentaire pour apprendre à lire. L’apprentissage de la lecture représente, avec l’écriture, l’une des priorités de l’école primaire, voire, l’objectif principal de la scolarité obligatoire. Le choix de la méthode d’apprentissage de la lecture revêt ainsi une importance capitale aux yeux des pédagogues pour la réussite scolaire des élèves. Ayant connu son âge d’or au début du 20ème siècle, la méthode syllabique, bien qu’elle ait fait ses preuves, a été progressivement abandonnée au profit d’autres méthodes dites globale et semi-globale.
Mais quelle est la différence entre ces différentes méthodes ?
L’approche syllabique ou alphabétique se base sur la genèse des sons de la langue parlée par assemblage de syllabes. Opposée à la méthode globale, elle va de l’élément simple, la lettre, au texte. Selon ce principe, l’enfant apprend d’emblée les lettres et les sons. Ensuite, il s’initie à la composition de syllabes puis d’un mot pour construire ensuite une phrase. A titre d’exemple, l’enfant apprend à prononcer les lettres «P» et «A». Une fois maîtrisées, il apprend à les composer en syllabes "PA" et en mots «PAPA». Par contre, la méthode globale, inventée par le psychologue et éducateur belge Ovide Decroly, est fondée sur l’identification visuelle des mots sans les analyser, c’est-à-dire sur la reconnaissance de la forme globale de chaque mot.
Ainsi, l’approche de l’enseignant consiste à utiliser directement des phrases entières pour initier un enfant à la lecture. La semi-globale, appliquée actuellement dans les écoles d’enseignement nationales, combine les deux précédentes approches. Calquée sur le système scolaire français, elle est vivement critiquée aussi bien par les parents d’élèves que par certains enseignants.
Ses détracteurs l’accusent de provoquer dyslexie et dysorthographie.
Plusieurs parents se plaignent, en effet, du mauvais rendement de cette méthode d’apprentissage. «Ma fille a actuellement de graves difficultés en orthographe. Elle est actuellement au collège et commet des erreurs d’orthographe catastrophiques comme écrire le mot «habitude» sans «h». Ceci est sans nul doute la conséquence de la méthode semi-globale qui est adoptée par les écoles nationales», regrette un père de famille. Même son de cloche chez un enseignant de la langue française dans une école primaire à Casablanca. «En procédant à une comparaison des rendements des méthodes d’apprentissage de la lecture, on se rend compte que l’approche semi-globale est inefficace. Les élèves qui apprenaient à lire via la méthode syllabique sont d’excellents lecteurs. Bonne prononciation avec respect de la ponctuation. Aujourd’hui, les élèves ont des problèmes d’ordre phonétique. Ils présentent des difficultés à déchiffrer les mots. Le niveau a sensiblement baissé.
La méthode semi-globale a provoqué une dyslexie chez l’enfant», fait remarquer cet enseignant, la cinquantaine, ayant plus de 20 ans d’expérience dans l’enseignement. Trouble d’apprentissage, dyslexie, dysorthographie, mauvais rendement… le bilan est lourd. Toutefois, les établissements scolaires nationaux de l’enseignement primaire continuent à appliquer cette méthode. Le débat autour de cette question pédagogique n’est même pas soulevé au Royaume, «faute de pédagogues compétents capables de débattre de la question», rétorque un autre enseignant.
L’application de la méthode semi-globale pour l’apprentissage de la lecture a été amorcée au Maroc dans les années 80 et elle a été maintenue après la réforme de l’éducation nationale. «C’est en 1985 que l’approche semi-globale a été adoptée par le ministère de l’Education pour faire apprendre aux enfants à lire les textes en arabe. Avant cette date, seule la syllabique se pratiquait dans les établissements scolaires. Dans les années 90, la semi-globale a été utilisée par les enseignants de la langue française», indique Agougil Abdelkader, inspecteur de l’enseignement primaire. Et d’ajouter : «Les recherches scientifiques en matière de psychologie de l’enfant sont à l’origine de l’abandon de la syllabique. L’un des principes de la théorie dite "gestaltique" ou de la forme soutient que le tout est perçu avant les parties le formant». C’est en se basant sur ce principe que la méthode globale a vu le jour. Selon son inventeur, le Dr Decroly, l’enfant est capable d’appréhender le mot et la phrase avant d’en distinguer les éléments constitutifs, mais à condition bien sûr que cette phrase soit insérée intimement dans le contexte de vie des individus.
Avec l’évolution des recherches scientifiques, d’autres approches ont été développées en Europe, notamment en France où un fervent débat a été soulevé autour de l’efficacité des différentes méthodes d’apprentissage. L’appel au retour à la méthode syllabique, lancé par ses défenseurs, ne cesse de s’accroître dans le pays de Molière. L’année dernière, la décision de l’ex-ministre de l’Education, Gilles de Robien, de l’imposer en C.P. pour la rentrée 2006-2007 a déclenché une controverse dans l’Hexagone.
L’ancien ministre français avait déclaré qu’il fallait «abandonner une fois pour toutes les méthodes globales et semi-globales car 20% des enfants ne savaient pas lire quand ils arrivaient en sixième». Certains enseignants ont dénoncé cette mesure qu’ils estiment en contradiction avec la liberté de choix pédagogique d’une part, et d’autre part, parce que le débat avait pris une tournure politique.
Selon un sondage réalisé en septembre 2006, 8 % des enseignants de CP en France déclarent utiliser uniquement la méthode syllabique, et 76% une méthode mixte incluant partiellement celle-ci.