«Ces architectures sont sur le point de disparaître du fait même du matériau de construction : la terre retourne à l’informe. Leurs héritiers témoins de la gloire passée – les descendants des lieux ayant vécu la prospérité (génération née en 1920-30) et les artisans ayant construit ou participé à la décoration des demeures seigneuriales ou des zaouïas dont il est ici question – sont très âgés aujourd’hui. Les pièces sont intéressantes et belles, mais aucun inventaire systématique n’a été entrepris (ou rendu public) à ce jour. Beaucoup de pièces artistiques disparaissent sur les sites mêmes, trônent dans quelques boutiques de Rabat ou de Tiznit. On sait que les demeures sont pillées ou abandonnées. Nous nous sommes nous-même approvisionnées en images chez un «antiquaire» ; très peu : deux pièces photographiées, car il faut se méfier des transformations, falsifications et vieillissement prématuré que les pièces – arrachées de leur site puis souvent copiées – peuvent subir. D’autant plus que cet acte scandaleux, mais légitimé dans ces régions paupérisées, est courant. Quand une famille n’a plus rien en année de sécheresse (toute la décennie 1990), elle n’hésite pas à se défaire d’une pièce, même si la somme est dérisoire. Quand on propose à un vieux paysan de lui remplacer son certes, beau mais très abîmé plafond peint, contre un neuf, solide et en béton, comment refuserait-il, surtout si la proposition tombe à la fin du mois de ramadan ? (…) Dans les territoires du Sud et de l’Atlas marocains, le matériau de recherche s’effrite. Beaucoup de demeures sont en ruine, paupérisées dans des régions défavorisées, pillées par les « antiquaires ».
L’exode rural opéré depuis plus de trente ans a grandement vidé ces régions de leur capital humain. Avant qu’il ne soit trop tard, tant qu’il reste possible de travailler sur place et non à partir d’images de pièces arrachées de leurs sites, il faut se hâter d’interroger les populations, les derniers artisans, et de recueillir dans les meilleures conditions ce matériau de recherche. »