Au milieu de la scène, à une cadence accélérée, Fatéma Chelha s’adonne à la danse de la vipère. Une chorégraphie que cette artiste maîtrise et qui est aujourd’hui son gagne pain et sa raison d’être. Rencontrée leors du 2e festival d’Ahwach à Ouarzazate, elle nous a fait part de sa joie de pouvoir perpétuer la tradition de ses ancêtres.
Lorsqu’elle avait à peine seize ans, Fatna Kahoulia, alias Fatema Chelha s’est lancée dans l’art d’Ahwach au sein de son village natal Oulad Taima à quelques kilomètres de Taroudant. «J’ai grandi dans la tribu de Houara, un environnement où Ahwach était profondément ancré dans le quotidien des habitants, cette danse accompagnée de chants était pratiquée à l’occasion de chaque cérémonie religieuse ou festive», raconte Fatéma Chelha. Cette dernière s’est retrouvée, dès son plus jeune âge, porteuse d’un héritage légué par une femme âgée nommée Khadouja. «C’est grâce à cette dame que j’ai appris les ficèles du métier de danseuse d’Ahwach et en particulier la danse de la vipère», souligne Fatéma. Cette danse reprend un rythme ancien symbolisé par la femme vipère qui sera séduite par un jeune homme chargé par sa tribu de mettre fin à la menace d’un reptile.
«Au cours de l’affrontement, un des danseurs se détache et il entreprend avec moi une série de bonds fantaisistes, il y en a qui sautent, d’autres courent d’un bout à l’autre de la scène et se précipitent à toute vitesse vers les spectateurs», explique-t-elle. En maîtrisant cette danse, Fatéma Chelha a marqué de son empreinte l’art d’Ahwach. Sa carrière a débuté dans les années 70 où elle a intégré la troupe de Houara dirigée par le maestro Haj Saïd El Harch. C’est au sein de cette formation qu’elle fait ses premiers pas et elle continue jusqu’à nos jours à représenter ceux qui lui ont enseigné le b.a.-ba des danses d’Ahwach. « Je dirige aujourd’hui cette troupe de Houara, et nous essayons au sein de la troupe de donner le meilleur de nous-mêmes et de porter le flambeau de nos ancêtres», souligne cette artiste avec assurance.
Fatéma Chelha cultive une philosophie de la vie à laquelle elle tient. Elle considère l’art d’Ahwach comme un héritage précieux qu’elle se doit de préserver. «J’enseigne aux nouvelles générations les techniques authentiques de notre art pour que les jeunes puissent le transmettre à leur tour», ajoute Fatéma Chelha. Présidente de l’Association des arts populaires à Taroudant, cette artiste a accompagné sa troupe composée de 17 membres lors de multiples tournées à l’étranger. Des voyages qui l’ont menée en France, en Italie, en Belgique pour ne citer que ces pays. «Je me suis même rendue à Walt Disney aux Etats-Unis où nous avons animé avec la troupe des concerts chaque soir pendant un an».
Si Fatéma Chelha est dévouée corps et âme à son art, malgré le peu d’argent qu’elle en récolte au Maroc elle n’en oublie pas pour autant sa famille. « Nous ne sommes pas très bien payés, le cachet maximum par personne et par soirée est de 130 DH, mais malgré ça je préfère faire carrière chez moi».
Pour pouvoir vivre correctement et subvenir aux besoins de ses sœurs et de sa fille âgée aujourd’hui de 16 ans, elle a eu l’idée de s’intéresser à un autre travail. En 2000, elle devient propriétaire de taxi blanc et assure la liaison entre Taroudant et Agadir ou encore Marrakech. Elle sera la première et unique femme chauffeur de taxi dans la région. «C’est un travail à part entière qui exige beaucoup de patience, mais que j’étais obligée de pratiquer pour subvenir aux besoins de mes proches», raconte Fatéma Chelha. Dès qu’elle a senti que son boulot l’éloignait de son art, elle a pris quelques distances.