Culture

Fatwa ou incitation à la débauche ?

© D.R

Si l’Islam interdit à une personne d’être seule dans une pièce avec une autre du sexe opposé, que peut-on faire pour que des hommes et des femmes puissent travailler «normalement» ?
Ezzat Attia, un professeur à l’Université d’Ah-Azhar, s’est penché sur cette «problématique». Mais la solution de ce théologien égyptien, formulée en fatwa, a provoqué tout un tollé dans le monde musulman. Une avalanche de critiques ont qualifié sa jurisprudence de loufoque, d’impolie, voire indigne. Pour une fatwa bizarroïde, c’en était vraiment une.
En effet, selon M. Attia, la femme pourrait être seule avec son collègue de travail et même enlever son voile… à condition de l’allaiter. Il ne s’agissait pas d’un canular, mais bien d’une fatwa provenant d’un professeur qui enseigne à l’Université d’Al-Azhar, considérée comme la plus haute autorité de l’Islam sunnite. Et c’est, d’ailleurs, pour cette raison qu’elle n’est pas passée inaperçue. Pour arriver à ce postulat, M. Attia, qui est président du département Al-Hadith, s’est basé sur un livre publié, il y a quelques années, par un autre enseignant d’Al-Azhar, Abdelmehdi Abdelkader Abdelhadi. L’auteur raconte dans cet ouvrage que le Prophète avait interdit à Aïcha, son épouse, d’entrer en contact direct avec des hommes étrangers à la famille. Après sa mort, Aïcha exigeait que «tout homme désirant la rencontrer devait téter ses cousines et ses nièces, avant d’accéder à sa tente». Et pour se faire, elle leur offrait du lait dans un bol. Partant de là, Ezzat Attia est arrivé à la conclusion suivante : pour que la femme puisse partager un bureau avec un collègue du travail, elle doit l’allaiter, non pas une fois ou deux, mais cinq fois. Et ce n’est pas tout. Selon la jurisprudence de M. Attia, elle devrait lui donner directement son sein pour devenir ainsi «sa mère de lait»!
On imagine donc le tableau : des hommes en train de téter les seins de leurs collègues dans le lieu de travail. Cela ressemblerait à une scène tirée de «La philosophie dans le boudoir» du marquis de Sade. Colère et indignation, telles étaient les réactions de la presse égyptienne. Pendant une semaine, les articles, souvent satiriques, dénonçaient cette fatwa qui traite d’un sujet «insensé», comme l’a déclaré une théologienne d’Al-Azhar citée par les médias. «C’est impoli», s’est-elle indignée. «En vous rendant dans une administration publique, vous ne devriez pas être surpris si vous tombez un jour sur un fonctionnaire de 50 ans en train de téter sa collègue» a, pour sa part, ironisé le journal «Al-Doustour».
L’avis du mufti a également provoqué de vives critiques émanant des milieux religieux en Egypte, mais aussi dans l’ensemble du monde arabe et spécialement dans les pays du Golfe. Interrogé par ALM, Mustapha Benhamza, président du Conseil local des ouléma à Oujda, a estimé que les gens qui se permettent de telles «fatwas» font preuve de leur ignorance en matière d’Islam.  «L’allaitement ne concerne que les deux premières années, car, comme l’a précisé notre Prophète, les mères allaiteront leurs enfants deux années. De ce fait, les gens qui émettent ce genre de propos ignorent des principes de l’Islam. Et par leur ignorance, ils portent ainsi atteinte à notre religion», a expliqué Mustapha Benhamza.
Mesurant mais tardivement l’ampleur de sa gaffe, Ezzat Attia s’est ensuite rétracté en retirant lundi dernier sa fameuse fatwa. Le théologien a indiqué qu’il retirait son avis religieux et s’excusait pour tout malentendu qu’il aurait pu causer, dans un communiqué distribué par la célèbre Université Al-Azhar. Il a, toutefois, ajouté que sa fatwa était le résultat de sa propre jurisprudence («Ijtihad», réflexion sur les textes fondateurs de l’Islam), et qu’elle était «contraire à l’avis du public» et une mauvaise «interprétation d’un cas particulier» du temps du Prophète. Ce n’est pas la première fois qu’une fatwa provoque une telle polémique. Invité sur la chaîne qatarie Al-Jazira, le cheikh Al Qaradawi avait déclenché une vive polémique en autorisant de façon explicite la fellation. «Les théologiens de l’Islam ont autorisé le baiser génital (entendez : la caresse bucco-génitale), aussi bien celui de la femme pour son mari que celui du mari pour sa femme, et il n’y a aucune honte à cela», avait-il déclaré.
«On n’est pas en présence d’un orifice sale comme l’anus… Si une personne prend son plaisir par la bouche, c’est un comportement qui sort de l’ordinaire, mais on ne peut l’interdire, surtout si c’est avec l’accord de la femme et qu’elle aussi y prend du plaisir… Dieu seul le sait», a-t-il poursuivi.
Le cheikh est allé plus loin encore en faisant la distinction entre les mœurs des Juifs, qui ne connaissaient qu’une seule position sexuelle, et celles de la tribu des Qurayshites, dont les hommes prenaient leurs femmes par-devant, en levrette, sur le côté…etc. M. Qaradawi a également jugé licites les relations sexuelles dans lesquelles l’homme et la femme sont tout nus, envers et contre tous les hadiths du Prophète. Mais la fatwa la plus insolite était émise par le Haut comité saoudien pour la recherche scientifique et la loi islamique dans laquelle il interdisait les fameux dessins animés japonais «Pokémon». Selon cette fatwa, les Pokémons auraient «possédé les esprits» des enfants saoudiens.

S.O.S fatwas express ! 
Si le Cheikh Qaradawi est le précurseur en matière des fatwas télévisées, plusieurs muftis, après lui, se sont mis à proposer des avis religieux sur le Net. Il y a aussi des forums qui permettent de prendre conseil sur des sujets divers. Autre mode de consultation religieuse en vogue : les hotlines égyptiennes surtaxées. Pendant le Ramadan par exemple, les bureaux d’«El-Hatef El-islami», installés au Caire, centralisent près d’un millier d’appels par jour. Chaque aspect de la vie quotidienne des Egyptiens est passé au crible de la religion, entre ce qui est permis et ce qui est prohibé.

Qu’est-ce qu’une fatwa ?
Dans l’Islam, la fatwa est un avis juridique donné par un spécialiste de loi religieuse sur une question particulière. En règle générale, une fatwa est émise à la demande d’un individu ou d’un juge pour régler un problème où la jurisprudence islamique n’est pas claire. Le spécialiste pouvant donner des fatwas est appelé mufti. Comme il n’existe pas de clergé dans l’Islam sunnite, il n’y a pas de règle unanimement acceptée pour déterminer qui peut émettre une fatwa. Différents muftis peuvent émettre des fatwas contradictoires; la conséquence d’un tel événement varie selon le pays. Dans un pays où la loi islamique est la base du droit civil et droit pénal, les fatwas sont débattues par les prélats nationaux. Dans les pays où la loi islamique n’est pas la base du droit national, les fatwas contradictoires peuvent coexister. Au Maroc, seul le Conseil suprême des ouléma est habilité à émettre des fatwas.  

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