«Entre djellaba, jupe, tailleur, robe et pantalon, quel est le style d’habillement que vous préférez chez la femme ?». En d’autres termes, dans laquelle de ces tenues, vous plaît-il le mieux de voir la femme ? Cette question a été posée par ALM à des centaines d’hommes de différentes catégories sociales. Les personnes sondées ont été priées d’être franches et de ne pas se mettre martel en tête de ce que les «nanas» penseront de leur goût. Pas besoin d’être Madame Soleil pour deviner que le pantalon l’emporte haut la main. Eh oui mesdames et mesdemoiselles, les mecs veulent vous voire en pantalon «car, disent ils, c’est beau, c’est suggestif et ça met en valeur les atouts féminins». Vous-mêmes vous le sentez comme ça. L’intuition, dit-on, est féminine. Les filles de l’ère numérique trouvent la chose normale et d’une banalité…De nos jours, tout le monde trouve normal de voir la femme en pantalon. Déjà quand les filles sont encore petites, les parents ne voient rien de plus seyant à leur mettre que des pantalons et des salopettes. Elles grandissent avec et trouvent cela naturel. Elles croient que la société a toujours été ainsi bien disposée, favorable au port du pantalon par les personnes du sexe féminin. Pas du tout. Détrompez-vous mesdames et mesdemoiselles. Notre société n’a pas toujours vu d’un bon œil la femme qui s’affichait en pantalon. Demandez à vos mères et tantes qui étaient encore adolescentes dans les années soixante. Elles vous diront beaucoup sur l’extrême sévérité des parents quant au port du pantalon par la femme. «L’intolérance était quasi-générale dans la société. Sortir en pantalon était H’chouma . Seule une petite minorité de filles avait l’audace de s’exhiber en pantalon», confie une quinquagénaire qui faisait partie de ces filles battantes qui osaient défier l’œil social. «Ces jouvencelles, poursuit-elle avec une pointe de fierté, défiaient aussi l’autorité parentale en bravant courageusement l’interdit pour sortir vêtues d’un pantalon».
Dans la rue, selon plusieurs témoignages concordants, on se jetait parfois sur elles, à coups d’injures grossières, de quolibets et de railleries. Les adolescents et surtout les soupirants éconduits, étaient les plus féroces dans ce jeu-là et s’évertuaient à humilier l’«impure ». « Celles qui avaient les nerfs fragiles, tombaient rapidement dans le piège de l’humiliation, brandissaient immédiatement le drapeau blanc et remettaient la tenue réglementaire d’antan: jupe-robe», se souvient une prof universitaire qui est actuellement à la retraite. «Je n’oublierai jamais un dimanche d’avril 1963 où j’ai failli-être tabassée, en pleine rue, par une bande de jeunes adolescents enragés parce que je portais un pantalon. N’eut été l’intervention d’un agent de police qui passait par là par hasard, j’allais être passée à tabac. Mais je n’ai pas cédé, j’ai fait vraiment de la résistance aussi bien at home que dans la rue ou le lycée tout en continuant à me mettre en pantalon», raconte cette «amazone» qui estime que les temps ont bien changé. «Quand je parle à ma fille de ces mésaventures à cause du pantalon, relève-t-elle, c’est à peine qu’elle me croit. Elle pense que j’exagère un peu».
En ces temps-là, l’équation était d’une simplicité simpliste pour certains : une fille en pantalon ne pouvait-être que de mœurs légères. Une prostituée en herbe. On poussait parfois le bouchon loin jusqu’à se payer la tête du frère de l’«impure». Furieux et humilié, complexe de la sœur oblige, le frère rentrait immédiatement à la maison pour corriger sauvagement celle qui a sali l’honneur de la famille. Informé par «Radio-médina», le père blessé par l’offense, re-battait la fille qui, en guise de consolation, se faisait par la suite vertement gronder par la mère parce qu’elle lui attirait l’ire du mari ainsi que l’opprobre de la famille et de la société en se pavanant en pantalon et surtout en jean. D’ailleurs, dans certaines familles conformistes, on interdisait le port des jeans même pour les garçons. Dans l’entendement de ces familles conservatrices, ce genre de pantalon était l’apanage des seuls voyous.
«Ma sœur jumelle a raté ses études à cause du pantalon. Un après-midi alors qu’on s’apprêtait à partir au cinéma, elle a été surprise par le vieux en train d’enfiler un pantalon. Mon père était rentré dans une colère noire, monumentale. Après une bonne correction dans les règles de l’art, il a décidé unilatéralement de ne plus la laisser sortir même pour aller au lycée. Donc, plus d’études pour elle, en dépit de l’intervention de plusieurs médiateurs et casques bleus de la famille. Heureusement que deux ans après, elle s’était mariée et tout était rentré dans l’ordre», raconte un médecin à la cinquantaine bien souriante. Cet ophtalmologue qui exerce à El Jadida rend hommage à l’obstination de ces pionnières du pantalon au Maroc et fait observer que seules les étrangères pouvaient sortir en pantalon ou mini-jupe.
Pour une «Mouhtajiba», style «Ikrâa» en haut et «Rotana clip» en bas, le port du pantalon «n’est pas interdit par la religion». «Il n’y aucun paradoxe. Je me sens bien dans un pantalon. J’y suis vraiment à l’aise, beaucoup plus que dans une jupe ou une robe», tranche cette jeune dame qui explique que le port du pantalon par la femme pose problème « seulement dans le cas où ce vêtement unisexe est serré et met en évidence les attributs féminins. Dans ce cas, précise-t-elle, il épouse les formes du corps, ce qui est tout à fait contraire aux règles de pudeur et de chasteté requises en Islam». Même son de cloche chez un homme d’un âge certain et au chapelet kilométrique qui souligne, avec sportivité, que «si le pantalon est assez large, ne colle pas au corps et recouvre bien toute la jambe, la femme peut le porter».
Il en a fallu, aux filles de l’époque, de l’audace et du courage mélangés subtilement à de bonnes doses d’effronterie pour afficher leur goût vestimentaire. Il en a fallu du temps aussi pour que les mentalités changent et que l’intolérance recule.
«Aux jeunes filles et aux jeunes dames d’aujourd’hui, je dis tout simplement: lorsque vous voyez des regards masculins admiratifs se porter sur vous, souriez intérieurement et ayez une pensée émue pour vos devancières de ces années là», conseille avec philosophie une avocate de Rabat qui faisait partie des effrontées des années soixante.