Culture

Foule sans visage

Combien de mystères recèle cette masse indistincte, aux visages anonymes, que l’on appelle la foule ? Il y a un plaisir malin à la contempler, à fixer les personnes qui s’y fondent, se croient à l’abri des regards inquisiteurs. Monsieur tout le monde est un grand personnage. Il l’est d’autant plus qu’il se livre à une prestation sans forcer sur le jeu, avec une aisance souveraine.
Chaque visage, chaque regard, chaque démarche sont autant d’histoires possibles. Les Surréalistes qui pistaient à la manière des flics des gens dans la rue en savaient quelque chose. Cela les engageait parfois dans des aventures où ils devenaient, malgré eux, acteurs. Ils s’embarquaient dans une histoire à laquelle ils avaient essayé d’assister dans la posture confortable du spectateur. L’on ne saura pas où va mener la jeune artiste Asmae Lahkim Bennani son aventure avec la foule. Elle sort, armée d’un appareil numérique, arpente Rabat ou Marrakech à la recherche de l’élément qui provoque le déclic. « Cela ne dure guère que l’espace de quelques instants. La surprise est le moteur qui me pousse à fixer une personne. Je ne retiens pas tout ce que je rencontre dans la rue ». Et clic, clac, souvent subrepticement, sans prendre le soin de cadrer et encore moins de chercher les contrastes et les effets de lumière.
L’esthétique intervient après. « Je suis bien plus intéressée par l’histoire, par la vie que porte en eux des fantômes dans la rue que par la photo », précisé l’artiste. Celle qui cherche la surprise est elle-même souvent étonnée lorsqu’elle regarde les photos. Elle découvre des éléments qu’elle n’a pas cherché à capter. Elle agrandit ses photos, les tire sur papier et les intègre dans des tableaux. La photographie occupe seulement une partie du support en bois ou en carton. Le reste du tableau est généralement peint à l’aide d’une ou de deux couleurs monochromes. Ces couleurs sont ternes, on dirait qu’elles ont été trempées dans une eau sale. N’était la photographie, elles ne présenteraient aucun intérêt. Cela dit, l’exposition mérite qu’on la visite. Elle gratifie de plusieurs histoires.
Des dos de femmes où est inscrite comme sur un mur l’usure du temps. Des groupes absorbés dans la contemplation de l’estuaire du Bou-Regrag. Une adolescente portant en bandoulière un sac orné d’un coeur. Des sourires, des rires. Asmae Bennani bande les yeux de ses personnages ou rend leurs visages flous, lorsque la proximité de l’oeil du photographe peut aider à les reconnaître. Elle respecte l’anonymat de la foule. Au reste, il existe une seule pièce dans l’exposition où l’on ne trouve pas de photographie. L’artiste lui a substitué un miroir. Inutile de dire que c’est le visiteur qui devient le protagoniste de ce tableau.
Ce miroir est disposé à un endroit du tableau qui ne permet pas de renvoyer à des personnes dotées d’une taille normale l’image de leur visage. Ils peuvent seulement y voir l’aine ou le thorax. Ce qui crée un effet de vertige assez troublant. Le spectateur est tiré subitement de sa contemplation. Lui aussi n’est qu’une silhouette, parmi tant d’autres, perdue dans une foule sans visage.

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