Culture

Françoise Atlan, la voix de la paix

ALM : Les puristes de la «ala», comment-ils perçoivent les petites innovations que vous introduisez dans la musique andalouse ?
Françoise Atlan : Je ne suis pas une chanteuse de «ala». Il y a des puristes évidemment qui ont peur que je n’altère l’identité de cette musique. Il n’est pas d’ailleurs question de toucher à la tradition. Il y a au demeurant des mélomanes de la musique andalouse qui m’ont félicitée en me disant que j’apporte beaucoup de fraîcheur à cette musique. Ils disent aussi que les jeunes peuvent avoir ainsi une oreille plus curieuse par rapport à ce répertoire.
A votre avis, pourquoi est-ce qu’il n’y pas de voix féminines dans la «ala» ?
C’est une musique très difficile à chanter. Elle requiert beaucoup de souffle, et c’est aussi une musique somptueuse. La «ala» symbolise l’Andalousie fastueuse. C’est le temps de l’Andalousie au faîte de sa gloire. Tandis que le gharnati où les femmes chantent, il a été créé suite de la chute de Grenade. C’est le déclin d’une civilisation qu’il symbolise. Curieux dans ce sens comment les voix féminines sont associées aux lamentations et les voix masculines à la magnificence. Je suis contente d’inverser un peu l’ordre des choses. (Rires).
Les chanteurs arabes et juifs ne se produisent plus ensemble…
Mais si ! Le concert de ce soir en est la preuve. Vous savez, il est très important que l’on continue à se produire ensemble. Le jour où Juifs et Musulmans n’éprouveront plus le besoin de partager des formes artistiques qu’ils ont héritées depuis des siècles, ça veut dire que c’est fini ! Or, ce n’est pas le cas. En atteste, encore une fois, le concert de cette soirée. Dans les pays arabes, les Juifs et les Musulmans ont toujours cohabité ensemble, ont fait de la musique ensemble, c’est leur musique ! Les Juifs du Maroc aiment d’ailleurs à dire qu’ils sont avant tout des citoyens marocains. Je ne suis pas d’accord quand vous dites que les Juifs et les Musulmans ne collaborent pas artistiquement. On tient bon!
Mais le concert de ce soir n’est pas possible dans plusieurs pays arabes…
Oui ! Je tiens à cet égard à préciser que le Maroc est pour moi un miracle. Et j’ai envie que ce miracle dure. Nous autres artistes sommes les vrais ambassadeurs de la paix. Nous sommes la preuve patente de la confraternité de nos deux peuples. La portée de ce concert dépassera les frontières de Fès. Il apporte – à sa mesure – un sanglant démenti aux ennemis de la paix et affermit la vigueur de ceux qui se battent pour qu’elle devienne une réalité au quotidien.
Le Maroc est un miracle dans quel sens ?
Ne serait-ce que parce qu’il y a encore des Juifs qui y vivent. Certes, c’est la continuité des choses, mais dans la conjoncture actuelle, cela revêt un caractère si exceptionnel que le mot miracle me vient naturellement à l’esprit. Et si l’on peut montrer par le biais de l’art que le modèle marocain non seulement existe, mais qu’il n’est que la continuité logique d’un mode de vie qui a été en vigueur pendant des siècles, je pense qu’on aura fait une oeuvre utile.
Le concert de ce soir ne peut échapper à la situation politique au Proche-Orient. Il est aussi un message en direction de la Palestine.
Bien sûr ! Politiquement, ce qui se passe est tragique. Il est vrai que nous ne nous pouvons pas échapper à la situation politique. Mais ce soir, on veut donner une image différente de ce que l’on voit continuellement à la télé. Nous sommes conscients de la portée symbolique de ce concert. Avec maître Briouel, où que l’on se produise dans le monde, nous nous savons, en plus de la nature strictement artistique du concert, investis d’une mission de paix. C’est vrai qu’on n’échappe pas à la situation politique. Mais il arrive un instant, dans une soirée, où le bonheur d’un partage musical prend le dessus. Et on arrive à transcender la réalité des bruits des chars et des cris de douleur. Et puis, et j’insiste là-dessus : le fait que l’on soit ensemble prouve que la cohabitation et la fraternité sont possibles. En ce qui me concerne, je suis persuadée, en tant que Juive arabe, bien que née en France, qu’il ne fait pas le moindre doute que l’on peut vivre en paix ensemble.
Vous êtes confiante en l’avenir ?
Je suis sûre que la situation actuelle ne peut pas durer. On dit qu’après la pluie, vient le beau temps. Mais là, c’est un orage qui ne veut pas s’apaiser. Il faut espérer que des temps meilleurs arrivent.
Vous pensez que l’art peut avoir une quelconque influence sur le cours des choses ?
Bien sûr ! Notre esprit est avec les gens qui souffrent des deux côtés. Mais que peut-on faire nous autres artistes que de se présenter sur scène pour chanter en arabe et en hébreu. Chanter la paix, c’est ce que l’on fait où que nous nous produisons dans le monde. D’ailleurs le seul domaine qui a échappé à la propagande de haine entre les Juifs et les Arabes, c’est l’art. Et ce domaine-là ne sera jamais touché, inch’Allah.
Pensez-vous que l’on prête une écoute attentive à ce genre de manifestations ?
Changer l’ordre des choses. Personne n’y parvient en ce moment. Mais pour apporter notre petite pierre à l’édifice de la construction de la paix, nous continuerons notre combat jusqu’au bout.Je vais vous raconter une anecdote. J’ai un ami musicien qui vit à Lyon. Adel Salamé est Palestinien. Il est très ami avec un grand clarinettiste israélien, Eiyal Sela. Ils sont amis. Comme Adel est à Lyon et comme ses parents vivent à Ramallah, il téléphone à Eiyal pour lui demander de voir comment vont les siens. Eiyal prend son vélo et se rend à Ramallah où il explique aux parents que leur fils demande de leurs nouvelles. Il téléphone ensuite à Adel pour le rassurer… N’est-ce pas que c’est beau? Moi, je n’ai que des anecdotes comme ça à vous citer.
Il ne faut pas non plus s’aveugler sur la situation.
Je ne suis pas aveugle sur la situation. Mais je tiens à montrer que les relations d’amitié existent entre les Arabes et les Juifs. Je tiens d’autant plus à le crier que c’est seulement la version haineuse qu’on nous montre.

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