Culture

Greffe : le Maroc n’est pas au bout de ses peines

© D.R

Ils ne sont pas comme les autres. Ils vivent grâce à un donneur pour lequel ils resteront redevables toute leur vie. Ils, ce sont des hommes et des femmes qui ont subi une greffe et dont la vie a de nouveau repris après une mort certaine. Une nouvelle page et un espoir qui renaissent. Ahmed, 41ans, est parmi les 126 Marocains ayant subi une greffe rénale, jusqu’à fin 2006. C’est un parcours de combattant qu’il a mené jusqu’au bout pour survivre à une maladie qui amenuisait son énergie et le privait de tout, absolument de tout. «Tout le temps fatigué, pâle et très mal à l’aise, je ne pouvais plus travailler», raconte cet homme. Il était gravement malade, mais il ne le savait pas.
Il pensait, comme une bonne majorité, d’ailleurs, que cet état allait passer un de ces jours. Oui, mais voilà ce jour n’est jamais arrivé et Ahmed se sentait de plus en plus mal. Il s’est, enfin, résigné à aller consulter un médecin pour en avoir le cœur net. «Il y a cinq ans, je suis allé voir un médecin à Rabat. Il m’a dit que j’avais un problème cardiaque et que je devais donc me soumettre à des analyses et à des radios pour déterminer mon cas», raconte Ahmed. Erreur de diagnostic. Ahmed n’avait pas encore enlevé son épine du pied. Après avoir subi des analyses et suivi un traitement qui ne lui étaient pas du tout destinés, son état de santé a empiré au point de devenir un calvaire. «C’est là où j’ai pris la résolution d’aller voir un autre médecin pour que cesse ma tourmente», confie-t-il. Eh oui, cette tourmente a fini par cesser.
Le nouveau diagnostic révèle une insuffisance rénale qui contraindra Ahmed à suivre trois fois par semaine une séance d’hémodialyse de quatre heures dans un centre à Casablanca. «Quel cauchemar ! Après chaque séance, je me sentais si faible que je m’imaginais comme une feuille morte», dit-il. Des années durant, Ahmed marquait des absences continues de son travail et cela l’obsédait constamment : «J’ai toujours veillé à remplir ma tâche en toute honnêteté et brusquement j’en suis devenu incapable.
Au travail, le personnel s’est montré très compréhensif, mais cela me faisait toujours mal». Ahmed supportait de vivre ainsi comme par fatalisme, jusqu’au jour où son néphrologue lui propose la greffe rénale. «J’en avais déjà entendu parler, mais je n’ai jamais osé y penser sérieusement parce que cela me semblait être imaginaire», reconnaît-il. La greffe rénale, même si elle reste rare au Maroc, puisqu’on compte une moyenne de 8 opérations de ce type par année depuis 1990 (effectuées à Rabat et à Casablanca), elle n’est pas pour autant impossible. Elle est plutôt coûteuse et c’est pourquoi, peu d’insuffisants rénaux «osent» y penser, comme Ahmed.
Une évaluation effectuée par l’Association des urologues et des néphrologues de la wilaya du Grand Casablanca, dévoile un chiffre de 250.000DH. Et il faut bien souligner que cette estimation ne comprend pas les honoraires du chirurgien ni ceux du médecin traitant. Mais il n y a pas que l’obstacle de l’argent qui se dresse, mais celui du donneur également. Dans notre pays, on ne procède toujours pas au prélèvement à partir d’un cadavre et cela ne laisse guère au malade que deux possibilités: partir à l’étranger ou trouver un proche dont le rein est compatible. C’est ce second choix qu’a fait Ahmed. Une de ses sœurs s’est portée volontaire et il s’est avéré, après analyses, que son rein est effectivement compatible. «Nous avons été soumis tous les deux à plusieurs analyses au CHU Ibn Rochd.
Un jour, après le mois de Ramadan 2005, j’ai reçu un appel pour me présenter à l’hôpital», se rappelle Ahmed. Ce jour-là, cet homme s’en souviendra toute sa vie. Il se présente à l’aile 2 du CHU Ibn Rochd, tout était prêt pour l’opération. «Je ne pensais plus à moi, mais à ma sœur», avoue-t-il, les larmes aux yeux. Ahmed, accompagné de toute sa famille, s’est étendu sur le brancard et s’est mis à prier.
Le voyage aurait pu être fatale, mais il refusait de se laisser abattre : «Ma sœur est entrée en premier, puis je l’ai suivie au bloc opératoire. Là, on m’a injecté un anesthésiant au niveau du cou. Après, j’ai entendu une voix qui me disait : n’aie pas peur !» Ce sont les derniers mots qu’entendra Ahmed avant de perdre conscience. L’opération s’est très bien passée. Il s’est réveillé avec une énorme bande et un sourire accroché aux lèvres. «J’étais content, une autre vie s’offrait à moi et je pouvais enfin devenir comme les autres», révèle Ahmed. Récupérer une vie normale, cela ne peut pas arriver du jour au lendemain de l’opération. La prise en charge qui suit en est la monnaie d’échange. Les immunosuppresseurs coûtent énormément cher : «Ce sont des millions que je dépense pour en avoir.
Chaque trimestre, je débourse plus de 10.000DH», déclare Ahmed. C’est entre 3000 et 4000DH que coûtent ces médicaments grâce auxquels, le greffé peut stabiliser son état de santé et lui permettre de s’adapter au nouvel organe. Pour Ahmed, la «mutuelle» arrange le problème financier, mais pour ceux qui n’en ont pas, c’est dur de supporter le poids économique que cela représente. Karim qui préside une association à Casablanca en sait quelque chose. Après avoir subi une greffe rénale en France, son calvaire  est devenu les médicaments anti-rejet. Pour s’en approvisionner, c’est vers Oujda et Sebta qu’il se dirige. Il passe ses commandes à des amis et leur verse une petite commission. C’est illégal et il le sait, mais, pour lui, la fin justifie les moyens. Lorsqu’il s’agit de sauver sa santé, on est même prêt à se jeter dans la gueule du loup. Ce qui est arrivé récemment à la jeune Fatima Zohra en est une preuve tangible. Epuisée par les séances d’hémodialyse et les coûts que celles-ci représentaient (de 600 à 800 DH au moins dans le secteur privé), elle part en Egypte pour se faire une greffe rénale le 9 novembre 2006.
Décision fatale qui lui coûtera la vie. Fatima Zohra, qui n’avait que 22 ans, est décédée pour avoir cru se libérer d’un fardeau. Plusieurs Marocains, n’ayant pas trouvé un donneur, sont obligés de partir à l’étranger, surtout en Egypte, en France, en Espagne, mais aussi en Inde ou au Pakistan. Ils sont environ 360 Marocains arrivés au stade final de l’insuffisance rénale à avoir subi une greffe. «C’est un nombre dérisoire par rapport à la demande croissante.
En comparaison : la Tunisie, pays de 8 millions d’habitants et qui a démarré la greffe la même année que nous (1986), a réalisé plus de 600 greffes rénales effectuées sur place et dont 20% à partir d’un prélèvement sur des sujets en état de mort cérébrale», indique le Pr. Amal Bourquia, néphrologue présidente de l’association « Reins ». Militante depuis des années, cette spécialiste n’a cessé d’appeler, par le biais de ses écrits et de son association, à la nécessité d’élargir les opérations de la greffe rénale. Pour elle, il est tout aussi important de préserver les citoyens du trafic d’organes qui sévit un peu partout dans le monde. Comment ? Pas d’autre solution que celle de sensibiliser le grand public. «Pratiquer un prélèvement sur une personne qui vient de décéder sera sans doute extrêmement difficile à faire accepter aux Marocains, car le deuil est souvent partagé par toute la famille et le respect des morts est un sujet sacré», souligne le Pr. Bourquia qui se prépare à publier un nouvel ouvrage sur l’éthique en mars prochain. Pour changer les mentalités, il faudra «transformer le sentiment de dépossession du corps du parent à qui on retire des organes en une idée de noblesse et de générosité», explique cette spécialiste.
Oui, c’est l’idée que défend d’ailleurs l’ensemble des médecins. Les associations (une quarantaine) inscrivent leur mission sur le même tableau, mais leur voix ne se fait pas entendre. «La Fédération marocaine des associations de soutien des insuffisants rénaux et de transplantation d’organes existe depuis près de deux ans, mais elle est inactive. Comment voulez-vous défendre les malades si on n’a pas de stratégie ?», dénonce Abdelilah Kabbaj, vice-président de l’association des insuffisants rénaux à Rabat. Selon ce dernier, les associations doivent se réveiller, se donner le temps et les moyens d’agir en frappant à toutes les portes : «Il faut d’abord sensibiliser les responsables du secteur de la santé, les parlementaires et chercher des bienfaiteurs pour aider les malades les plus démunis, pour faire vraiment bouger les choses». Abdelilah, militant associatif depuis de longues années, estime que même le régime du Ramed, qui rentre en vigueur le mois prochain, ne pourra pas soulager la souffrance chronique des insuffisants rénaux qu’il faut, d’après lui, exonérés complètement des frais quel que soit leur taux, pour qu’ils puissent avoir droit à la prise en charge. 4000 nouveaux cas d’insuffisance rénale sont signalés chaque année au Maroc où l’on ne compte que 114 centres d’hémodialyse et 131 néphrologues. Une cadence qui légitime l’accélération des greffes rénales, mais aussi la sensibilisation du grand public.  

Que dit la loi à propos du donneur ?
La loi n°26-05 complétant la loi n° 16-98 relative au don, au prélèvement et à la transplantation d’organes et de tissus humains stipule dans son article 10 que « le donneur doit exprimer son consentement devant le président du tribunal de première instance compétent à raison du lieu de résidence du donneur ou du lieu d’implantation de l’hôpital public agréé dans lequel le prélèvement et la transplantation seront effectuées, ou devant le magistrat de ladite juridiction spécialement désigné à cet effet ».

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