ALM : Dans vos écrits journalistiques, vous portez un intérêt particulier à l’islamisme marocain. Pourquoi vous intéressez-vous à ce phénomène ?
Hamid Barrada : Je me suis toujours intéressé à l’islamisme qui constitue, depuis l’effondrement du nationalisme arabe avec ses deux versants : nasserisme et baasisme, le principal mouvement de contestation dans le monde arabe et au-delà. Après la guerre civile algérienne, il est devenu impossible de ne pas s’y intéresser. L’islamisme nous concerne, et si nous ne nous intéressons pas à lui, il s’intéressera à nous.
Le PJD, écriviez-vous dans la dernière édition de « Jeune-Afrique », est un «parti caméléon »…
Ce qui me frappe chez le PJD, c’est sa capacité d’adaptation et de séduction. Apparemment, il est prêt à tous les compromis et compromissions pour gagner les suffrages des Marocains et accéder au pouvoir. Et ce qui me paraît préoccupant, c’est que la vigilance, que l’on pourrait attendre en particulier de la gauche, et de la presse, est en train de s’émousser. Les islamistes sont à la mode, leur arrivée au pouvoir est attendue pour 2007 comme si c’était une date ordinaire du calendrier. Comme si c’était le Ramadan ou la Fête du mouton. J’ai lu plein d’articles, d’interviews de leaders islamistes, dans la presse marocaine et étrangère, qui participent, inconsciemment, à cette entreprise de banalisation.
Ancien militant de gauche, cette gauche incarne-t-elle toujours à vos yeux les beaux idéaux d’antan. Ne vous sentez-vous pas floué par la prestation actuelle de la gauche marocaine ?
La principale revendication de la gauche a été l’Etat de droit et la démocratie. Avec la constitution du gouvernement d’Alternance, grâce à la persévérance des uns et à la lucidité des autres, et grâce au patriotisme de tous, le Maroc a pu se doter d’institutions démocratiques viables. Nous avons, depuis le gouvernement d’Alternance, un Etat fort, un texte de Constitution équilibré (le gouvernement est responsable à la fois devant le Roi et devant le Parlement). Et ce n’est pas rien. Je ne suis pas sûr que nous avons pleinement conscience de tous les progrès accomplis. Nous n’avons jamais été aussi libres, et toute la question est désormais de savoir si nous faisons un bon usage de cette liberté chèrement payée.
Anti-monarchiste par le passé, avez-vous fait amende honorable ?
Un philosophe qui m’a marqué, Spinoza pour ne pas le nommer, enseignait que «regretter, c’est pécher deux fois». Je ne regrette donc absolument rien, car j’ai toujours agi en conscience. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas commis d’erreurs que je reconnais du reste volontiers. J’étais hostile à la monarchie quand j’avais 20 ans, parce qu’elle me paraissait incarner ce qu’il y avait de nocif à l’époque. J’ai pris mes responsabilités, j’en ai payé le prix. Et dès que je me suis rendu compte que je faisais fausse route, j’ai changé de chemin. Et en l’expliquant publiquement…
Que répondez-vous à certains qui vous reprochent d’être « plus royaliste que le Roi » ?
J’ai écrit un jour « être Marocain, c’est être plus royaliste que le Roi ». Entre les Marocains et la monarchie, c’est une histoire de vases communicants. Quand l’un flanche, l’autre se redresse davantage…
J’ai commencé à défendre la monarchie lorsque j’ai compris qu’elle représentait, ou plus exactement qu’elle était, l’Etat marocain et qu’elle pouvait parfaitement évoluer vers une monarchie moderne et constitutionnelle. Ce que nous avons aujourd’hui au Maroc dans les textes. La question qui se pose à nous aujourd’hui est de savoir si nous sommes capables d’être des citoyens, c’est-à-dire des membres d’une société qui sont exigeants à l’égard des autres et d’eux-mêmes, qui sont conscients de leurs droits mais aussi de leurs responsabilités. Par exemple, quand on est journaliste, on essaye de faire ce métier convenablement en en respectant les règles essentielles. On n’oublie pas que ce métier consiste à rechercher très humblement la vérité, à la mettre très rigoureusement à la portée de tout le monde, à s’interdire absolument d’écrire des contre-vérités, des calomnies, ou n’importe quoi, et qu’on s’interdit de transformer le journalisme en une sorte de pouvoir suprême, au-dessus de tout le monde : le Roi, ses collaborateurs au Palais, le gouvernement, le Parlement, les partis, les services de sécurité, etc.
Que pensez-vous du travail de l’IER ? En êtes-vous satisfait ?
L’IER a fait un très bon travail à la fois avec sérieux et modestie. J’ai apprécié en particulier que Driss Benzekri, et ses camarades, aient réussi à travailler en toute indépendance. A mon avis, tout le monde au Maroc devrait être fier de l’IER comme nous sommes fiers de la Marche verte. Savez-vous que l’Espagne, après la fin du franquisme, et la France après la guerre d’Algérie, n’ont rien fait qui ressemble à une commission Vérité comme celle qui a fonctionné au Maroc ? J’ai constaté, en observant les militants de l’IER, qu’ils représentaient une nouvelle race de Marocains : indépendants, libres, sérieux, responsables, modestes, bref ces citoyens dont je viens de parler.
Comment voyez-vous maintenant les années de plomb ?
Je m’insurge quand on réduit le régime de Hassan II aux années de plomb. Il y a eu des barbaries qui ont été commises, il y a eu une lutte pour le pouvoir implacable avec des méthodes inacceptables, de part et d’autre, mais il y a eu aussi beaucoup de patriotisme qui faisait que les Marocains qui s’affrontaient sont restés attachés à des valeurs essentielles, ne dépassaient pas les limites, se respectaient mutuellement, ont ensemble sauvegardé les chances de l’avenir. Et c’est pour cela qu’ils ont réussi à doter le pays d’un Etat moderne, et d’institutions démocratiques.
Après une longue période d’exil en France, ne pensez-vous pas rentrer ?
Je suis un nomade, je vis là où j’ai du travail.
Avez-vous toujours l’idée de créer un journal au Maroc ?
J’avais, il y a longtemps, un projet qui n’avait pas abouti. Et je suis très heureux de travailler à Jeune-Afrique.