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Hommage à Ismaïl Kadaré: L’homme qui a défié les fascistes

© D.R

œuvre colossale
Il est romancier. Il est poète. Il est journaliste. C’est un homme d’idées et d’engagement aussi. Ismaïl Kadaré a incarné la résistance de l’écrivain face aux injustices du fascisme. Son œuvre complète vient d’être publiée.

Ismaïl Kadaré a fui l’Albanie communiste au début des années 90 et s’est réfugié à Paris. Publiés en français et en albanais, et longtemps interdits en Albanie, ses livres sont de belles épopées qui plongent au cœur d’une identité albanaise tragique, une identité déchirée entre l’Occident et l’Orient, entre une Europe chrétienne et une terre albanaise à majorité musulmane, entre un Occident riche et ostentatoire et un Sud du continent, encore arriéré et très pauvre.

C’est dans ce sens que nous sommes là face à une oeuvre colossale qui fait de son auteur «un écrivain nobélisable», à plus d’un égard, un penseur doublé d’un militant convaincu dont les thèmes majeurs sont l’identité, la liberté, l’amour et le dépassement de soi. Avant de tourner le dos à son Albanie natale, ce pays exsangue, cette terre si belle et pourtant réduite en miettes par de nombreuses dictatures dont la plus récente celle d’Enver Hodja qui a dirigé le pays durant quarante longues années, Ismaïl Kadaré disait que sa situation était semblable à celle «d’un homme contraint de creuser un tunnel sous son appartement afin de pouvoir en sortir». Curieusement, sa vie et son exil rappellent un autre dénonciateur de l’oppression, un autre combattant pour la liberté et la justice, l’auteur de «L’archipel du Goulag», Alexandre Soljenitsyne, qui a fait face à la dictature et à la barbarie en payant de sa liberté le plus lourd tribut possible.

Si Ismaïl Kadaré n’a pas la verve homérique de son aîné russe (Le premier cercle, Le pavillon des cancéreux, L’Archipel du Goulag), son concentré littéraire porte en lui cette pointe acerbe de l’écrivain qui réfléchit le monde dans des proportions qui vont au-delà des frontières géographiques. D’ailleurs, quand un livre s’attaque à l’humain en nous, il se situe toujours au-delà des clivages et des lisières, et tourne en une ronde universelle qui ne délimite plus son espace-temps, mais ouvre sur l’intemporalité de l’homme, de l’homme qui lutte, de l’homme qui espère, dans la résistance et dans la résilience. Ismaïl Kadaré a pu faire de son petit pays, cette Albanie mangée par la Grèce et écrasée par les Balkans, le centre du monde. En cela, sa prose et sa poésie le situent quelque part entre Gabriel Garcia Marquez et son réalisme onirique et Jorge Luis Borges et son onirisme réaliste. Habité par les mêmes soucis littéraires, creusant dans le sens d’un spéléologue pour délimiter l’histoire, la politique, les rapports humains, les rêves et les projections dans l’avenir, Ismaïl Kadaré porte sur lui le destin d’un peuple qui refuse d’abdiquer.

Inextricables Balkans
Dans ce sens, «Vie, jeu et mort de Lul Mazrek» est une saga condensée, où l’ombre de «L’automne du Patriarche» et «Cent ans de solitude», se profile faisant des reliefs des Balkans, le théâtre hostile et accidenté, d’une pièce humaine de grande envergure où la désespérance côtoie le danger, où la terreur avoisine l’horreur. Dans ce sens, les romans de Ismaïl Kadaré comme ceux de Gabriel Garcia Marquez ou Alexandre Soljenitsyne sont des textes fortement politiques, des récits qui portent en eux la marque de fabrique de ces auteurs qui tentent de rectifier les erreurs fatales de l’Histoire. Pourtant, l’auteur s’en défend: «Je suis un écrivain tout court. L’écrivain politique n’existe pas, pas plus que l’écrivain historique ou l’écrivain policier. Ce sont tous des écrivains. Certains sont bons, d’autres mauvais !».

En Albanie, il est aussi l’équivalent turc d’un Nazim Hikmet ou d’un Yasar Kemal. Frappés de censure, ses livres sont des électrochocs portés au flanc de la dictature. «Quatre de mes livres- le Concert (Fayard, 1989), le Palais des rêves (Fayard, 1990), le Monstre (Fayard, 1991), et Clair de Lune (Fayard, 1993) – ont été interdits par décret, explique l’écrivain albanais. Cela veut dire qu’on ne pouvait les trouver nulle part, ni dans le commerce, ni dans les rayons des bibliothèques. Certains autres étaient frappés d’une semi-interdiction, c’est-à-dire qu’on n’en parlait pas dans la presse, qu’on faisait comme s’ils n’avaient jamais été écrits.

Le régime avait mis en place une stratégie très élaborée pour contenir les écrivains dissidents.» Tout comme les personnages de ses romans, de «Mauvaise saison sur l’Olympe» à «L’envol du migrateur» en passant par «Le successeur» ou encore «Le chevalier au faucon» et «Froides fleurs d’avril», il est question d’individus aux prises avec le climat ambiant, des individus qui doivent se battre, qui doivent lutter pour trouver une porte de sortie, pour sauver leur peau aussi. Tantôt écrasés par le rouleau compresseur de la systématisation de l’individu et de sa pensée, tantôt réussissant à tirer leur épingle du jeu en misant sur cette même individualité qui en fait des êtres autres, des personnes porteuses de projets pour leurs vies, autant de rêves affranchis des bottes de la sérigraphie humaine propres aux totalitarismes quelle que soit son obédience.

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